La Quatrième République
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2. Le syndicalisme agricole

2.2. L'éclatement du mouvement paysan

Si les militants syndicalistes sensibles aux intérêts des paysans les plus pauvres constituent les réseaux de la C.G.A., souvent sous l'influence du P.C.F., leur monopole de la représentation des paysans landais est contesté par d'autres entreprises de mobilisation syndicale. Un syndicalisme agricole de tendance chrétienne se forme ainsi difficilement après la guerre sous l'impulsion de René Lafourcade. De retour de captivité, il parcourt les campagnes landaises pour promouvoir la constitution des syndicats agricoles locaux affiliés au Syndicat landais d'initiatives rurales (S.L.I.R.). Cet organisme regroupant essentiellement des paysans catholiques et pratiquant remonte en réalité à l'entre-deux-guerres : il est fondé en 1936 en même temps qu'est créée la Jeunesse Agricole Catholique sous l'égide de l'évêque d'Aire-sur-l'Adour et de Dax, Monseigneur Mathieu. Ce n'est cependant qu'après la Seconde Guerre mondiale, que le S.L.I.R. prend un réel essor sous la présidence de René Lafourcade.



Si le S.L.I.R. lutte avec la C.G.A. pour le vote d'un statut du métayage et du fermage, ses partisans se singularisent par leur promotion de la collaboration capital/travail : ils veulent aplanir les oppositions entre petits et gros paysans. La S.L.I.R. appelle ainsi à une augmentation des rendements pour régler les différends entre propriétaires et exploitants selon l'idée qu'une hausse de la production agricole assurerait une augmentation des revenus pour les deux parties. Dans cette optique René Lafourcade participe au lancement dans le département des grands organismes agricoles comme les CUMA, les maisons familiales, ou encore la Maison du paysan à Dax. Loin de la combativité syndicale des syndicats associés à la C.G.A., les groupements du S.L.I.R. mettent l'accent sur l'existence d'intérêts communs entre les différentes franges de la paysannerie landaise, et les gros propriétaires sont les bienvenus dans ses syndicats locaux.


Sans grande emprise populaire, le S.L.I.R. est une entreprise concurrente de la C.G.A.. Mais au sein même de la C.G.A., des tensions éclatent. Rassemblés au sein des syndicats locaux, communistes et socialistes n'en continuent pas moins à se livrer une concurrence politique. Ils s'opposent notamment en revendiquant chacun la paternité de la loi sur le métayage et le fermage de 1946. Comme les élus de la S.F.I.O. dirigent le Conseil général jusqu'en 1949, les communistes rendent les chefs socialistes du département partiellement responsables des difficultés et des lenteurs que rencontre l'application du nouveau statut des baux ruraux. D'autre part des militants paysans proches de la S.F.I.O. quittent la C.G.A. en dénonçant son orientation communiste.


Critiquant un syndicalisme agricole sous domination communiste, le leader socialiste Charles Lamarque-Cando manifeste ainsi son hostilité à la C.G.A. dès 1945. Les cadres politiques de la S.F.I.O. critiquent surtout la conduite de la C.G.A. landaise lors des différents mouvements sociaux qui se déclenchent après la guerre. Pendant les conflits violents de Narosse et Pouillon, les responsables socialistes se démarquent ainsi de l'action de la C.G.A..


Les oppositions virulentes entre métayers, fermiers et propriétaires terriens concernant la réforme des baux ruraux éclatent en effet dans la partie méridionale des Landes, en Chalosse notamment, zone la plus agricole du département, où près de 50 % des agriculteurs sont de petits métayers. La tension est avivée par le nouveau contexte politique : avec la force nouvelle des partis socialistes et communistes, les revendications des fermiers et métayers se libèrent et des événements violents s'enclenchent après l'expulsion de deux familles de métayers à Narosse et à Pouillon dans les premiers mois de l'année 1950 : les premiers à la fin janvier et les seconds au début février. La tension reste longtemps latente dans les deux secteurs puis on observe une baisse générale des troubles sociaux dans les campagnes.


Les dirigeants socialistes s'opposent aux affrontements autour des deux expulsions précitées et dénoncent la radicalité des propos des responsables de la C.G.A.. Ils critiquent une orientation de la C.G.A. trop dure marquée par des positions de classe. Le 8 février 1950, Charles Lamarque-Cando favorise la publication d'un appel en faveur d'une " vraie C.G.A. " qui mettrait en relation " les preneurs raisonnables et les bailleurs de bonne foi ". Quatre jours plus tard, cette position est officialisée : le congrès départemental de la S.F.I.O. landaise dénonce l'action des communistes au sein de la C.G.A. et renouvelle son appel à une refondation du syndicalisme agricole landais sur des bases nouvelles. Les autorités préfectorales profitent de ces divergences au sein du monde rural et accentuent au même moment les divisions syndicales en annonçant que le dialogue n'est possible qu'avec les métayers de bonne foi.


Le 20 février 1950, une réunion de paysans sympathisants socialistes se tient à Mont-de-Marsan, à l'initiative de Dutourné, maire socialiste de Mimbaste, et en présence de Charles Lamarque-Cando. Les paysans présents remettent en cause la légitimité de la direction landaise de la C.G.A. et se donnent pour objectif la préparation de la fondation d'une nouvelle organisation. A l'issue de la réunion une commission provisoire de 13 membres est créée, avec à sa tête Gaston Garrabos. Dans son rapport final, cette commission critique la gestion des dirigeants de la C.G.A. landaise. Les autorités de l'Etat apprécient cette tentative de contestation du monopole de la C.G.A., trop marquée à gauche, sur le syndicalisme landais : le préfet accueille le secrétariat administratif de la commission dans les locaux de la Direction des Services Agricoles.


Cette remise en cause de l'orientation landaise et communiste de la C.G.A. s'appuie sur un contexte national favorable. La direction nationale de la C.G.A., avec sa principale branche la F.N.S.E.A., prend en effet progressivement une direction nettement conservatrice. Après une orientation très à gauche dans l'immédiat après-guerre, avec l'implication de dirigeants communistes et socialistes, les instances nationales sont progressivement investies par des dirigeants modérés. Dans un premier temps, bien qu'ancrée à gauche, la F.D.S.E.A. des Landes garde de bons rapports avec la direction nationale du syndicat lorsque celle-ci est composée, avec Etienne Forget, de démocrates chrétiens. Puis, l'élection lors du congrès national des 7 et 8 mars 1950 de René Blondelle, ancien syndic de la Corporation sous Vichy, rend la position des landais difficile.


Lors de ce congrès national de la F.N.S.E.A., qui élit René Blondelle comme nouveau président, les délégués landais sont ainsi privés de parole. Les syndicalistes landais contestant la conduite départementale de la F.D.S.E.A.-C.G.A. sont alors encouragés dans leur volonté d'obtenir une désaffiliation de la F.D.S.E.A.. Ils constituent un comité de réorganisation dans le département afin de former à terme une nouvelle organisation syndicale susceptible de demander un rattachement à la F.N.S.E.A.. En partenariat avec la commission nationale des statuts et conflits de la F.N.S.E.A., l'objectif est de disqualifier l'équipe dirigeante de la F.D.S.E.A.. Le comité de réorganisation est composé de socialistes qui ont critiqué l'orientation communiste de la F.D.S.E.A. mais aussi de chrétiens du S.L.I.R.. L'un des animateurs du comité de réorganisation, Jean Ducourneau, maire de Lagrange, fonde même une Fédération des viticulteurs et agriculteurs des Landes qui revendique son indépendance à l'égard de la F.D.S.E.A. mais il s'agit d'une entreprise relativement individuelle et ses troupes restent clairsemées.


Les 9 et 10 février 1950, les quatre membres de la commission des statuts et conflits de la F.N.S.E.A. viennent dans les Landes afin d'entendre les responsables de la fédération départementale. Il s'agit en réalité d'envisager concrètement la perspective d'une officialisation de la rupture entre l'instance nationale du syndicat et son organisation landaise et d'effectuer la séparation dans les règles. Cette longue confrontation aboutit finalement lors du congrès national de la F.N.S.E.A. des 27 et 28 février 1951 à la radiation de principe de la F.D.S.E.A. des Landes sur décision de la commission des statuts et conflits.


L'exclusion définitive de la F.D.S.E.A.-C.G.A. des Landes de la F.N.S.E.A. n'a cependant lieu que le 19 août suivant. Le motif officiel de l'exclusion de la F.D.S.E.A. landaise est surprenant : les dirigeants syndicalistes du département sont accusés d'avoir organisé une expédition punitive sur les terres d'un propriétaire en conflit avec un métayer. Derrière cette raison, cette reprise du syndicalisme landais s'inscrit dans un mouvement national. La nouvelle direction de la F.N.S.E.A. travaille avec succès à l'alignement des fédérations départementales sur ses nouvelles orientations conservatrices : les syndicalistes de Charente et de Corrèze subissent ainsi les mêmes sanctions.


Dans cette perspective, l'association landaise des fermiers et métayers est également suspendue de son association nationale qui est en fait intégrée à la F.N.S.E.A.. Lors du congrès national de l'Association des fermiers et métayers qui se déroule les 11 et 12 mars 1952, plusieurs militants sont définitivement exclus de l'Association nationale. Cependant les délégués landais, avec ceux des 17 autres départements du Sud-Ouest, du Centre et du Midi, créent une fédération régionale des fermiers et métayers. Ayant son siège à Toulouse, cet organisme maintient une position de classe et les revendications de l'ancienne C.G.A. à l'égard des propriétaires. Le Landais Félix Labat préside cette fédération régionale dont le secrétaire général est le lot-et-garonnais Pierre Abadie.


La F.D.S.E.A. désavouée se transforme dès le 22 septembre 1951 en un syndicat indépendant, la Fédération des Syndicats agricoles (FSA) - C.G.A. des Landes. Le 3 novembre 1951, une assemblée générale extraordinaire des représentants de la fédération exclue se réunit à Dax et entérine la rupture avec la F.N.S.E.A.. Les militants se félicitent que la masse des adhérents reste fidèle aux principes de la C.G.A. en maintenant leur affiliation aux syndicats de la nouvelle organisation qui se veut l'héritière de la C.G.A. fondée à la Libération.


Quelques mois plus tard, le S.L.I.R. de René Lafourcade est reconnue F.D.S.E.A. officielle des Landes par la direction nationale du syndicat. Les troupes sont dans un premier temps réduites car les fondateurs de la commission de réorganisation, souvent socialistes, se sentent floués par le choix de la F.N.S.E.A.. Dans un second temps, les militants socialisants qui avaient combattu les communistes de la C.G.A. rejoignent la nouvelle F.D.S.E.A..


Malgré ces difficultés institutionnelles qui ont d'importantes répercussions en terme de ressources financières mais aussi de visibilité sur la scène syndicale, la FSA-C.G.A. continue ses actions populaires de mobilisation autour des expulsions et du prix du pain. Elle engage notamment une campagne pour que le carburant soit détaxé pour les tracteurs, et une autre contre la tuberculose bovine. Malgré tout, elle ne bénéficie désormais d'aucune reconnaissance de la part des autorités et des pouvoirs publics.
 
 

 



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