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2. Le syndicalisme agricole
2.1. La création de la Confédération Générale de l'Agriculture
Dans le prolongement des activités clandestines menées souvent par d'anciens militants communistes de la C.G.P.T., de nombreux Comités de Défense et d'Action Paysanne (C.D.A.P.) se mettent en place sous l'impulsion du P.C.F. de la Libération à mars 1945. Gabriel Curculosse propriétaire exploitant à Meilhan, ancien militant de la C.G.P.T., représente les C.D.A.P. des Landes au Comité Départemental de Libération. A partir des réseaux paysans issus de la clandestinité, il s'agit de constituer une vaste organisation agricole représentative qui soit animée par les paysans eux-mêmes, et notamment par leur frange la plus modeste jusqu'ici mise de côté dans la plupart des organisations agricoles. Alors que les syndicats affiliés à la C.G.P.T. sont dans les années 1930 très virulents mais disposent de peu de moyens d'influence, la nouvelle organisation doit être capable de défendre les revendications des paysans devant les gros propriétaires et de faire pression sur les autorités publiques.
 Le canton de Pouillon est le berceau de ce nouveau syndicalisme paysan landais qui se structure à la Libération. Ses deux principaux initiateurs sont Marcel Sintas paysan d'Ossages et Vincent Balesta, de Habas, qui travaille à la métairie de " Bonnet " que sa famille occupe depuis trois générations, tout en étant également courtier en vin pour la maison Pédelucq de Labatut. Tous deux sont célibataires et respectivement âgés de 30 et 35 ans. Manquant d'expérience et de pratique syndicale, il font cependant appel au soutien de militants communistes confirmés, Vital Gilbert et Gilbert Pénicaut notamment. Dans les Landes, mais aussi au plan national avec notamment le dirigeant Waldeck Rochet, le P.C.F. joue en effet un rôle déterminant dans la fondation des réseaux qui vont donner naissance à la C.G.A.. Le 12 novembre 1944, Marcel Sintas et Vincent Balesta organisent deux réunions publiques à Pouillon et Habas, qui enclenchent le renouveau du mouvement de syndicalisation des paysans landais.
A l'automne 1944, les militants des différents CDAP se dotent d'un bureau départemental autour de Vincent Balesta, nommé président, Gilbert Pénicaut et Jean Bourlon. Ce dernier est le fils d'une famille de métayers de Habas et n'a que 22 ans. Réuni à Mont-de-Marsan le 26 décembre 1944, le bureau départemental des CDAP appelle à une réunion de tous les responsables syndicaux landais pour le 9 janvier 1945 en vue de préparer la constitution d'une grande formation syndicale représentative. La réunion, qui a lieu le 13 janvier 1945 à Dax, permet la mise sur pied d'un comité d'organisation composé ainsi :
| Président | Balesta (CDAP) | Vice-président | Lacroix (C.G.A.) de Saint-Geours-de-Marenne | Vice-président | Comet (C.G.T.) de Poyartin | Vice-président | Dubourg (CGPT) de Souprosse | Secrétaire | Pénicault (CDAP) de Pouydessoux | Membres | Sintas (CDAP) de Ossages | Membres | Lolom (CGPT) de Tartas | Membres | Canguilhem (Syndicat autonome) de Montfort |
Les participants à cette réunion fondatrice se donnent pour objectif de réaliser l'unité syndicale dans le département. Dans cette optique, l'absence à la réunion des organisations coopératives, du Crédit Agricole et des mutuelles, pose problème. Les membres du bureau décident donc de convier ces différentes instances à la prochaine réunion, qui se déroule le 20 janvier 1945. Le 6 février 1945, une réunion commune entre le comité de coordination, les organisations professionnelles et les syndicats propulse Joseph Courau, de Magescq, président du CDAP, à la présidence du comité de coordination avec la charge de préparer le congrès départemental de la nouvelle organisation.
Le congrès départemental fondateur se tient le 10 mars 1945 dans la salle de l'Atrium de Dax. Les délégués fondent la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (F.D.S.E.A.) des Landes. Conçu par de nombreux militants sympathisants communistes ou socialistes, la nouvelle organisation doit à leurs yeux être un outil de lutte syndicale pour l'aboutissement des revendications des petits exploitants. Dans cette perspective de classe, les propriétaires fonciers ne peuvent appartenir au syndicat que s'ils sont exploitants et s'ils transforment leurs autres métairies en fermage.
Outre la désignation d'un Conseil Administratif provisoire, les syndicalistes votent une délégation devant représenter les Landes au congrès national de l'organisation. Cette délégation est composée de André Bombezin, Vincent Balesta (qui fut en fait remplacé par Jean Bourlon) et Joseph Courau. Lors du congrès national de la Fédération Nationale des Exploitants Agricoles (F.N.S.E.A.) qui se déroule les 16, 17 et 18 mars 1945, les trois délégués landais sont élus dans diverses commissions : Jean Bourlon à la commission métayage, Joseph Courau à la commission coopération, et André Bombezin à celle des statuts et du budget.
Dans le prolongement des deux congrès, départemental et national, environ 200 syndicats regroupant 11 000 adhérents sont constitués dans les campagnes landaises et affiliés à la F.D.S.E.A. qui a le monopole de la représentation des intérêts des exploitants agricoles du département. Lors du deuxième congrès départemental de la F.D.S.E.A., les 4 et 5 août 1945 au théâtre de Mont-de-Marsan, 353 délégués des syndicats locaux sont alors présents. A cette occasion, les congressistes constituent finalement la C.G.A. des Landes qui est une instance de coordination des différents organismes du monde paysan, et en particulier la F.D.S.E.A..
La C.G.A. des Landes se construit en effet selon le modèle organisationnel national : elle est une structure rassemblant différentes branches spécialisées. L'Union départementale de la C.G.A. des Landes compte ainsi douze branches :
fédération des syndicats d'exploitants agricoles
fédération des coopératives
crédit agricole
mutualité
syndicat des techniciens et employés de l'agriculture
syndicat avicole
syndicat d'élevage de la race bazadaise
syndicat d'élevage des blondes des Pyrénées
syndicat des maraîchers
syndicat apicole
syndicat ovin
syndicat des artisans ruraux
A ces différents secteurs, s'ajoutent ensuite la fédération des Coopératives d'Utilisation du Matériel Agricole (C.U.M.A.) constituée en 1946 ainsi que la fédération des gemmeurs et métayers dirigée par Charles Prat. En outre, lorsque trois nouvelles coopératives sont créées, la coopérative de conserverie de Saint-Sever (octobre 1945), la coopérative agricole des viticulteurs landais (janvier 1947) et la coopérative boucherie-charcuterie, elles intègrent la fédération des coopératives agricoles appartenant à la C.G.A.. La C.G.A. est donc une structure de coordination, ses adhérents ne sont pas des individus mais des organismes du monde agricole, et la F.D.S.E.A. est sa principale branche.
Avec notamment Gilbert Pénicaut et Marcel Sintas, les communistes sont en position de force dans les instances dirigeantes de la C.G.A.. Longtemps incertain, le siège de la C.G.A. des Landes est finalement fixé au 26 de la rue Armand Dulamon, à Mont-de-Marsan, soit dans l'ancien local de la Corporation paysanne. Le syndicat est doté d'un journal, Les informations agricoles. Formé de 260 syndicats locaux rassemblant au total 12 150 adhérents, le syndicat est très influent dans la Chalosse. Le tableau suivant dresse l'état des effectifs de quelques syndicats locaux en 1949 et 1950 :
| Localités | 1949 | 1950; | Duhort Bachen | 36 | 56 | Sainte-Marie-de-Gosse | 80 | 95 | Dax | 35 | 42 | Toulouzette | 29 | 42 | Baigts | 60 | 64 | Eyres Moncube | 34 | 52 | Préhacq | 34 | 51 | Mimbaste | 52 | 58 | Le Vignau | 15 | 20 | Narrosse | 23 | 38 | Grenade | 52 | 76 | Thil | 56 | 83 | Le Frèche | 18 | 31 | Saint-Gein | 22 | 34 | Mauriès | 32 | 34 | Miramont sensacq | 19 | 28 |
Sources : Les informations agricoles, n° 89 et 91, février et mars 1950.
 Dans son organe de presse, la C.G.A. revendique 24 000 adhérents en février 1950 sur les 24 870 exploitants que compte le département. La représentativité de l'organisation ne fait donc aucun doute. Parmi ces adhérents, les propriétaires exploitants sont majoritaires mais on dénombre également 10 500 fermiers ou métayers.
Héritière d'une tradition syndicale d'auto-organisation des paysans, la C.G.A. oeuvre au développement des coopératives agricoles dans divers secteurs : matériel agricole, céréales, fruits et légumes, boucherie, conserverie, armagnac… Au cours de l'été 1947, une commission départementale des jeunes paysans de la C.G.A. est créée sous la responsabilité d'Albert Justes. Cette commission, qui a la particularité de comprendre plusieurs femmes, joue un rôle pédagogique important auprès des jeunes paysans landais en les sensibilisant aux enjeux de la modernisation de l'agriculture : elle participe à l'action générale de la C.G.A. en faveur de l'amélioration technique du travail agricole. Les jeunes animateurs de la commission organisent notamment plusieurs rassemblements comme la " journée de la motoculture " à Mugron le 30 octobre 1947, qui réunit 3 000 personnes, ou encore une journée du même type le 10 octobre 1948 à Dax.
Le second axe du travail de la C.G.A. est l'action syndicale, pratique revendicative inspirée de l'agitation sociale entretenue par la CGPT dans l'entre-deux-guerres et des CDAP aux lendemains de la guerre. Les militants de la C.G.A. luttent surtout pour le vote du statut du fermage et du métayage afin de mettre fin à un mode d'exploitation agricole injuste et dégradant. Après sa promulgation, ils axent ensuite leurs actions sur les conditions de son application dans le département. La C.G.A. joue un grand rôle en soutenant les métayers dans leur face à face avec des propriétaires fonciers désireux de maintenir leurs privilèges. Alors que les métayers et fermiers rejoignent la C.G.A. pour défendre leurs nouveaux droits, des propriétaires se réunissent de leur côté au sein d'un syndicat mené par le docteur Pouey afin de maintenir leur prérogatives et d'échapper le plus possible aux nouvelles dispositions législatives.
Le 24 août 1947, le congrès de la F.D.S.E.A.-C.G.A. se déroule à Mont-de-Marsan. Les délégués des syndicats locaux évoquent longuement le problème de la pénurie de pain car depuis le printemps 1947, de nombreuses communes landaises sont privées de ce produit de première nécessité. Ils demandent alors la revalorisation du prix du blé et réclament une réglementation plus précise de l'échange entre le blé et le pain.
Après la période mobilisatrice de la Libération, la C.G.A. perd néanmoins de son emprise parmi les paysans landais et certains syndicats disparaissent à la fin des années 1940. Ainsi le 29 avril 1950, le congrès départemental rassemble à l'Atrium de Dax 285 délégués ne représentant plus que 178 syndicats locaux et 6 580 adhérents.
Cinq mois plus tard, le 26 novembre 1950, le 5e congrès de l'Association des fermiers et métayers des Landes se déroule à Saint-Vincent-de-Tyrosse avec 800 participants, dont 250 délégués. Puissants au sein des syndicats d'exploitants, les militants communistes jouent également un rôle primordial au sein de cette structure créée le 14 septembre 1946 afin de prendre spécifiquement en charge les problèmes des fermiers et métayers landais. Dans les années 1950, ces dirigeants sont Fernand Secheer, René Bernède, Roger Lacommère, Albert Justes et Robert Castéra, René Duvignau, Léon Thierre.
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