La Quatrième République
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Home > Les Landes pendant la Quatrième République (1945-1958) > La question du métayage > Un climat social tendu



3. La question du métayage

3.2. Un climat social tendu

La confusion est toujours de mise au sein des tribunaux paritaires et, à la fin de l'année 1946, la C.G.A. appuyée par les parlementaires socialistes et communistes tente sans succès d'obtenir des mesures pour rendre incontournable la loi du 13 avril. Le découragement gagne certains métayers, lassés des batailles juridiques, quelquefois déjà condamnés ou menacés d'expulsion. Le 27 février 1947, une nouvelle manifestation de masse a cependant lieu aux arènes de Mont-de-Marsan et réunit encore 7 000 personnes.


Répondant aux désillusions et à l'exaspération des métayers, l'Assemblée départementale des fermiers et métayers radicalise son discours : elle condamne la lenteur et les modalités jugées injustes de l'application de la loi tant espérée. Après un congrès départemental qui réunit 217 délégués à Dax le 19 septembre 1946, un autre se tient à Mugron le 20 avril 1947 : cette assemblée marque un durcissement du ton car des revendications très fermes sont posées contre les propriétaires et la gestion de certains tribunaux paritaires. L'objectif est clairement de maintenir une pression populaire et de ne pas céder face aux propriétaires.


Sous l'impulsion de la C.G.A., de l'Assemblée départementale des fermiers et métayers et du P.C.F. essentiellement, la mobilisation sociale des métayers se poursuit : au cours de l'été 1947, de nombreuses manifestations ont lieu, par exemple, dans le secteur de Dax, où les syndicalistes estiment que le tribunal d'arrondissement rend des jugements non-conformes à la loi. On compte notamment 2 000 manifestants à Saubusse le 10 août puis 3 000 manifestants à Pouillon le 17 août.


La conjoncture nationale favorise cette réactivation du mouvement paysan : les conflits sociaux sont relancés dans un contexte d'opposition communiste au gouvernement où le P.C.F. ne siége plus depuis mai 1947. Le 21 septembre 1947, un millier de personnes se rassemblent à Biaudos afin de réaffirmer leur volonté d'une juste application des statuts. Lors de ce meeting, des organisateurs évoquent la compromission du juge local (Rouyer) avec le Docteur Pouey, président du syndicat des propriétaires fonciers. Quelques jours plus tard, les deux militants communistes et syndicalistes André Bombezin et Gilbert Pénicaut sont alors condamnés pour diffamation à 10 000 F d'amende et respectivement à 2 et 3 mois de prison avec sursis.


S'appuyant sur l'augmentation de la tension, la C.G.A. appelle à une autre manifestation le 27 décembre 1947, à Dax, qui réunit environ 8 000 personnes. Le climat social est plus violent et la répression à l'égard des protagonistes du rassemblement est plus vive. Deux militants, Léon Gaillardet et le dénommé Perriat, sont arrêtés. Les socialistes, par la voix de Charles Lamarque-Cando se démarquent des actions de la C.G.A. en condamnant l'organisation et le déroulement de la manifestation. Les communistes poursuivent cependant la mobilisation en mêlant revendications sociales et mots d'ordre politique : la lutte autour du métayage est ainsi associée à la campagne nationale contre le plan d'austérité de Daniel Mayer et contre l'augmentation des impôts.


Le 2 février 1948, 15 000 paysans manifestent dans une dizaine d'endroits dans le département :

  • 1 500 à Peyrohade
  • 1 000 à Saint-Vincent-de-Tyrosse
  • 900 à Dax
  • 1 500 à Tarstas
  • 3 000 à Saint-Sever
  • 800 à Hagetmau
  • 2 000 à Aire-sur-l'Adour
  • 1 200 à Saint-Justin
  • 1 500 à Pomarez
  • 1 500 à Monfort




  • Deux mois plus tard, en avril 1948, ce sont encore 3 500 paysans qui répondent à l'appel des syndicalistes paysans en se rassemblant à Habas contre " le sabotage du statut du métayage et du fermage ". Jean Lespiau pour le P.C.F. est présent à cette manifestation initiée, par l'union cantonale de la C.G.A. Pouillon.



    Cette forte mobilisation des paysans landais, entretenue par la C.G.A. et le P.C.F., permet d'obtenir la révision du barème départemental des baux, mais l'application de la nouvelle loi pose toujours problème. Certains propriétaire font pression sur les métayers, notamment en essayant d'exercer au maximum leur droit de reprise tandis que plusieurs métayers passent devant les tribunaux correctionnels. Le métayer Sérac, à Ygos, est par exemple condamné à Dax, puis en appel à Pau, pour avoir coupé des tiges de vergne. Alors que les tiges de vergne ont toujours été considérées comme bois de chauffage, le propriétaire en revendique une part, au même titre que n'importe quel produit de la métairie.


    Les cas de ce type sont nombreux pour les années 1948-1949 et symbolisent la forte tension qui règne dans les campagnes landaises à cette époque. Certains conflits entre métayers et propriétaires débouchent même sur des altercations physiques. C'est souvent lorsque les responsables de la C.G.A. tentent de s'opposer aux reprises et aux expulsions de métayers que les conflits violents éclatent. Ainsi à Parleboscq, le 23 mai 1949, Adrien Barthe est expulsé avec l'appui de la force publique. Ce métayer accepte le principe de la reprise, mais il réclame d'abord le paiement de 300 000 F qu'il estime avoir investi sur l'exploitation. Or, le propriétaire refuse cette revendication. Après avoir mené une délégation paysanne pour empêcher l'expulsion du métayer, Gilbert Pénicaut est condamné le 16 novembre 1949 à un mois de prison ferme pour " provocation à l'attroupement ". Un comité de défense pour l'amnistie de Gilbert Pénicaut se constitue, sous la présidence de Robert Labeyrie, conseiller général socialiste et maire de Pontonx-sur-Adour. Le 6 décembre 1949, 6 000 paysans manifestent dans les arènes de Mont-de-Marsan pour réclamer la libération du militant paysan. Le 31 janvier 1950, le tribunal de Pau lève la peine en appel et la transforme en une amende de 10 000 F.


    Les expulsions de métayers qui demandent la conversion de leur bail en fermage déclenchent donc des réponses de masse destinées à faire pression sur les propriétaires pour qu'ils acceptent la transformation en fermage. Souvent l'action est efficace et certains se résignent à vendre leurs exploitations aux preneurs en place. Les syndicalistes de la C.G.A. continuent à demander la mise à jour de la loi tandis qu'à l'Assemblée nationale la Commission de l'agriculture créée une sous-commission chargée de préparer un projet de loi unique. Celui-ci est finalement déposé le 21 juillet 1950 : le socialiste Charles Lamarque-Cando en est le rapporteur. Le dirigeant communiste Waldeck Rochet demande une discussion d'urgence avant les vacances parlementaires mais le projet est renvoyé en octobre. Or, après les élections de juin 1951, la nouvelle majorité parlementaire est devenue hostile au renouvellement de la loi.


    Cette impasse législative accentue les tensions sociales dans les campagnes. Dans les Landes, les conflits se multiplient. L'affaire la plus emblématique est celle de Narosse avec l'expulsion de la famille de Prosper Darracq, métayers au " Moulé ". Le 29 janvier 1950, 4 000 personnes se rassemblent pour soutenir la famille et les responsables syndicaux entament une surveillance permanente des environs. Le village est en ébullition sociale pendant plusieurs mois : il est à la fois occupé par des forces de l'ordre très nombreuses et par les militants paysans de la C.G.A..



    L'affaire bénéficie d'un retentissement national avec la publication d'articles dans La Terre, le journal paysan du P.C.F., ainsi que par la réception de messages de soutien qui parviennent de tout le pays. Devant le 12e congrès national du P.C.F., Waldeck Rochet lit une lettre adressée par six militants paysans landais au secrétaire général du parti, Maurice Thorez. Lors de la rédaction du message, ces syndicalistes sont emprisonnés à Pau à cause de l'action qu'ils ont menée pour tenter de réintégrer le métayer Prosper Darracq dans sa ferme :

    " Cher Maurice,
    Nous sommes tous les six les premiers paysans arrêtés sur le front de la liberté. Nous sommes fiers de montrer à nos camarades ouvriers que les paysans eux aussi savent lutter pour leur pain, pour leur droit au travail ! Nous savons que si nous sommes enfermés, ce n'est pas six autres qui nous remplaceront, mais des dizaines, des centaines et des milliers de paysans dont les yeux s'ouvrent et qui viendront se joindre au grand combat des peuples de la terre entière contre l'impérialisme qui les écrase et les pousse à la guerre.

    Cher Maurice,
    Nous ne sommes pas tous ici des communistes, mais nous nous joignons tous pour apporter au grand Parti Communiste Français, dans la personne de son secrétaire général, le salut fraternel et confiant de ceux qui luttent à la base pour assurer à tous les peuples de la terre des lendemains qui chantent "
    Source : Waldeck Rochet, La défense de l'agriculture française et de la paysannerie laborieuse, rapport présenté le 4 avril 1950, 12e congrès national du P.C.F., Gennevilliers, 2-6 avril 1950, pp. 59-60


    Une affaire du même type se déroule à Pouillon le 8 février 1950, générant la même mobilisation populaire. Lors de l'expulsion du métayer Vincent Puyau, une véritable bataille rangée éclate entre syndicalistes et forces de l'ordre venus en nombre : des arbres sont abattus pour bloquer les routes, des lames de faucheuses utilisées pour crever les pneus des cars de police, des feux d'artifice déclenchés pour ralentir l'avancée des déménageurs, etc.


    Ces multiples luttes ne sont pas veines car, sous la pression de ces événements, le préfet décide d'annuler les expulsions prévues et suspend provisoirement cette pratique répressive. Néanmoins les métayers de Narosse et de Pouillon ne peuvent reprendre leur activité dans les exploitations qu'ils occupaient auparavant, tous deux trouvent cependant une nouvelle place dans de nouvelles propriétés acquises grace à l'effort de solidarité des métayers (la famille de Prosper Darracq s'installe à Port-de-Lanne en mars 1951 et celle de Vincent Puyau à Pouillon en novembre 1950) et grâce à l'aide des responsables syndicaux qui négocient pour eux avec de nouveaux bailleurs. Le 8 novembre 1951, Gilbert Pénicaut est arrêté pour n'avoir pas payé les différentes amendes qui lui ont été infligées dans ces diverses affaires. Quelques responsables doivent alors réunir la somme pour payer l'amende et le leader syndicaliste est libéré le 9 novembre. Une souscription populaire permet ensuite de rembourser les cadres syndicaux.
     
     

     



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