La Quatrième République
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5. Le monde ouvrier

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l'économie française entre dans une période de profondes mutations, devant les nécessités de la reconstruction, auxquelles succèdent rapidement celles de la modernisation des secteurs industriels et agricoles. Or les conséquences de cette modernisation font entrer le tissu industriel landais, et par conséquent le monde ouvrier landais, dans une grave crise. Marginalisés par leur situation géographique, des sites industriels comme ceux de l'usine Saint-Gobain et des Forges de Tarnos n'entrent pas dans le cadre de l'économie semi-planifiée des années 1940 et 1950. D'autres secteurs, comme l'industrie bouchonnière ou l'industrie de transformation de la gemme sont quant à eux en bout de course. Malgré une importante progression jusqu'en 1950, l'industrie bouchonnière est ainsi atteinte par la crise qui touche cette activité au plan mondial et entre dans une phase de déclin. En 1955, il n'y a pratiquement plus de production locale de liège, et même si on compte encore 14 usines dans les Landes en 1958, celles-ci sont condamnées à court ou moyen terme. Pour les ouvriers bouchonniers, la crise commençe même bien avant. L'introduction de nouvelles machines a en effet conduit à une réduction drastique de la main-d'œuvre dans ce secteur pourtant important au début du siècle et jusque dans l'entre-deux guerre. Mais, dans les années 1940-1950 comme dans les périodes précédentes, l'épicentre du mouvement ouvrier reste situé dans les Landes autour des Forges de Tarnos, frappées de plein fouet par la crise et secouées par d'importantes mobilisations.


Au cours de l'été 1944, les forges fonctionnent encore au ralenti, du fait des difficultés de l'approvisionnement en matière première et de l'absence de très nombreux ouvriers, prisonniers de guerre, déportés ou clandestins. A la Libération, seuls 800 salariés travaillent dans l'usine, qui se consacre à la construction de logement en bois pour les populations sinistrées du Nord de la France. En 1945, avec le retour des prisonniers, les forges sont prêtes à reprendre leur activité et de nombreux jeunes cherchent un emploi. C'est aussi la période de la " bataille de la production " soutenue par les militants communistes et par de nombreux syndicalistes C.G.T.. Joseph Cazaurang, secrétaire du syndicat C.G.T. des Forges, conduit ainsi une délégation d'ouvriers et d'ingénieurs à Paris auprès de Marcel Paul, ministre communiste de la production industrielle, pour réclamer la relance de l'approvisionnement en charbon et la remise en route de l'usine. Ils obtiennent rapidement gain de cause et fonte, aciers, rails et appareils de voie pour les chemins de fer sortent à nouveau des Forges, contribuant ainsi à la reconstruction des infrastructures détruites pendant la guerre sur tout le territoire français. La situation de l'entreprise reste toutefois précaire, comme le prouvent en 1947 les dispositions du plan Monnet, qui prévoit la fermeture des Forges de l'Adour, considérées comme un site industriel marginal. Grâce à la présence dans la délégation nationale C.G.T. au Plan Monnet de M. Malvaux, ingénieur des hauts-fourneaux de Tarnos, la fermeture est toutefois annulée. Malgré ce premier coup de semonce, l'activité continue et se renforce même, puisque les effectifs de l'usine dépassent les 2 000 salariés.


L'action des responsables syndicaux de la C.G.T. face à cette première menace a sans doute joué un rôle dans le maintien de l'hégémonie de ce syndicat dans les années suivantes. Ainsi, la scission de la C.G.T. et la création de Force Ouvrière restent sans conséquence aux Forges. Dans les années suivantes, la C.G.T. continue de représenter 80 à 85 % des suffrages des ouvriers et des employés lors des élections professionnelles. Pourtant, à l'initiative des cadres et des ingénieurs, plusieurs scissions ont lieu. Au début des années 1950, ces derniers ont en effet formé un syndicat autonome suite à des tensions avec les représentants de la C.G.T.. Quelques années plus tard, se constitue un syndicat CFTC regroupant toutes les catégories de salariés, avant qu'un nouveau groupe de cadres et d'ingénieurs ne forme un syndicat : la Confédération Général des Cadres (CGC). Aucun n'est jamais parvenu à contester la force du syndicat C.G.T..


De fait, l'unité est encore relativement solide lorsqu'en 1951, de nouvelles menaces s'abattent sur l'avenir de l'entreprise et de plusieurs sites industriels. La mise en place des premières structures de collaboration économique européenne, dans le cadre de la CECA et du plan Schuman, prévoit en effet la fermeture de plusieurs sites dans le Sud-Ouest de la France, dont les mines et les ateliers de Decazeville et Carmaux, l'usine sidérurgique de Floirac-Bordeaux, les Forges de l'Adour et l'usine Saint-Gobain de Boucau. Deux sites landais sont donc directement touchés.


A Boucau, l'usine Saint-Gobain, spécialisée dans la transformation de la pyrite venue d'Espagne, fournit aux forges une partie de leurs matières premières. Elle compte environ 400 salariés. Malgré leur syndicalisation et le soutien des responsables syndicaux de Tarnos, ces derniers ne peuvent lutter longtemps contre la décision de fermeture. En 1953, l'usine cesse brutalement son activité. Les salariés sont reclassés dans les autres sites du groupe Saint-Gobain, notamment dans la région de Toulouse, seuls quelques-uns d'entre eux parviennent à entrer aux Forges. Dans le même temps, en 1952, la décision de fermeture des Forges est maintenue et la bataille des ouvriers pour le maintien de l'entreprise s'engage. Au cours de l'année, la direction fait dans un premier temps appel aux volontaires pour affecter un maximum de salariés aux usines de la Loire, à Saint-Chamond, Saint-Etienne ou Firminy. Or, les volontaires sont très peu nombreux. Tous les ouvriers reçoivent alors à leur domicile des lettres d'affectation leur signifiant leur envoi dans les usines de l'Est de la France voire même en Allemagne, dans la région de la Ruhr.


Heurtés par ces pratiques brutales, qui rappellent celles que certains ont connues pendant l'Occupation, les ouvriers ne tardent pas à riposter. Le syndicat C.G.T. des Forges organise aussitôt un rassemblement des travailleurs des Forges et de la population locale sur la place de Boucau. Le lendemain, l'usine est en grève. Après avoir collecté les lettres d'affectation, les responsables de la C.G.T. les brûlent symboliquement dans la cour de l'usine, sous les fenêtres de la direction. Les affectations sont rapidement annulées. Forts de cette mobilisation et de ce premier succès, les responsables C.G.T. décident de prendre le contre-pied de la direction en proposant, lors d'une réunion du Comité central d'entreprise, un projet de modernisation de l'usine des Forges. A travers ce projet, ils entendent démontrer qu'il est possible de maintenir l'usine en l'adaptant aux exigences de productivité du Plan Schuman et de rompre son isolement géographique en la développant sur la base des activités locales, comme le port de Bayonne, les Fonderies Mousserolles ou l'usine aéronautique Bréguet. Lors de la réunion suivante, la décision est prise d'annuler la fermeture de l'usine et de mettre en place le projet proposé par les représentants syndicaux. Un vaste programme de modernisation est proclamé. Il comprend la reconstruction complète et le blindage des hauts-fourneaux, la modernisation du chargement et la mise en place d'un canon de coulée. Autant de mesure qui permettent d'améliorer sensiblement les conditions de travail des ouvriers. La construction d'un nouveau four et la modernisation de l'usine électrique sont également décidées.


Toutefois, après le recul de la direction sur la fermeture des Forges, la mobilisation des ouvriers ne retombe pas pour autant. Au contraire, les luttes sont même incessantes. Elles portent sur les conditions de travail et le salaire des ouvriers : attribution d'une cinquième semaine de congés payés, 5 % d'augmentation de salaire, mise en place d'une retraite complémentaire et d'un fonds de secours aux veuves, etc. Au cours de l'année 1952, l'usine est à nouveau en grève, aux côtés des usines métallurgiques de Bayonne (Bréguet, fonderies Mousserolles et manufacture d'armes). Après quelques jours, un médiateur est nommé au cours d'une réunion avec la direction, en présence du sous-préfet de Bayonne. Après deux mois, une augmentation de salaire de 25 %, est proposée et adoptée, grâce au soutien du sous-préfet, qui s'est engagé à faire appliquer les propositions du médiateur.


Après cette victoire, les ouvriers n'en perdent cependant pas de vue les menaces de fermeture de l'usine. Dans le cadre du contrat d'entreprise signé dans les semaines suivantes, les représentants syndicaux obtiennent ainsi l'investissement du 1 % patronal dans la construction sur trois ou quatre ans de HLM à Boucau et d'un lotissement à Tarnos. Ce faisant, ils espèrent œuvrer en faveur du maintien des Forges. Et dans leurs victoires, ils n'en oublient pas les autres ouvriers touchés par les fermetures prévues par le plan Schuman. A la fin de l'année 1952, les mineurs de Carmaux sont toujours en grève. Il est donc unanimement décidé d'envoyer une délégation C.G.T. des Forges pour leur porter la solidarité au soir du 24 décembre. Les représentants des ouvriers de Tarnos passent ainsi la nuit de Noël avec les grévistes et assistent avec eux à la célébration de la messe de minuit au fond de la mine.


L'année 1952 apparaît comme une forme d'apogée du mouvement ouvrier dans les Forges. Malgré les menaces de fermeture, les ouvriers sont en effet parvenus à arracher diverses mesures sociales importantes. Depuis 1947, les délégués du Comité d'entreprise ont ainsi obtenu la nomination d'un médecin du travail permanent dans l'usine. Le premier médecin affecté aux Forges est le Docteur Maubourget, proche des médecins de la C.G.T. et de la clinique parisienne des métallurgistes, la " Clinique des Bleuets ". Ce dernier travaille assidûment sur les traumatismes liés aux postes de travail et obtient en 1953 que la silicose soit reconnue maladie professionnelle dans la sidérurgie. A travers le Comité d'Entreprise, le syndicat gère également les œuvres sociales : secours aux familles, pensions pour les enfants et les étudiants, bibliothèques d'entreprise. Enfin, un bureau de la sécurité sociale de quatre employés est directement implanté dans l'usine, grâce à la C.G.T.. Mais alors même que les travailleurs des Forges ont obtenu de si nombreuses mesures sociales et qu'ils pensaient avoir obtenu des garanties sur la pérennité de leur emploi, le projet de fermeture des Forges de l'Adour est à nouveau relancé. Dans un premier temps, ce projet reste très flou. Jusqu'en 1958, les effectifs connaissent même un essor continu pour atteindre à nouveau leur maximum de plus de 2000 salariés.


Mais à l'orée des années 1960, le combat des ouvriers des Forges change progressivement de nature. La fermeture des Forges devenant imminente, la mobilisation des métallurgistes a bientôt pour objectif d'arracher la reconversion des salariés, reconversion qui passe par le renouvellement du tissu industriel landais et l'implantation de nouvelles entreprises. C'est un combat particulièrement acharné qui mobilise employés des Forges, élus locaux et habitants de la région pendant toute la première moitié des années 1960.
 
 

 



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