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1. La gauche politique sort renforcée de la guerre
1.4. Les gaullistes et assimilés
Dans les landes, le mouvement gaulliste a la particularité d'avoir de très importantes racines radicales. De nombreux radicaux landais, dont le parti est discrédité par l'attitude silencieuse ou complaisante de ses cadres durant l'Occupation et associé à la défaite de la Troisième République, investissent en effet le courant gaulliste pour bénéficier d'une nouvelle image. La formation du courant gaulliste dans les Landes entre dans l'entreprise de recomposition politique du radicalisme, il est directement lié à la crise du radicalisme d'après-guerre et aux rivalités internes au sein du parti radical landais. L'utilisation du parti gaulliste par les notables landais entre dans une stratégie électorale : ayant perdu la plupart de leurs mandats électoraux au profit de la S.F.I.O., les radicaux espèrent rivaliser avec les trois forces politiques dominantes (la S.F.I.O., le P.C.F. et le M.R.P.) en se rapprochant des gaullistes et des modérés.
 Après la création en 1946 de l'éphémère Union gaulliste par Pierre Grenade, la fédération départementale du R.P.F. est constituée en 1947. Le parti gaulliste est animé par les frères Georges et Elie Sansoude, dirigeants de l'entreprise " France Route ". Les animateurs départementaux du courant gaulliste se recrutent parmi les notables professionnellement liés à cette société comme l'ancien député radical Pierre Deyris, ou encore Robert Besson, ingénieur en chef aux établissements France-Route à Mont-de-Marsan puis sous-directeur de cette société.
Vice-président de la fédération radicale socialiste des Landes, Georges Sansoube, entraîne de nombreux militants radicaux dans cette stratégie gaulliste. A l'image de Robert Besson, les cadres de l'organisation maintiennent souvent l'équivoque en ne se détachant pas clairement du parti radical. Pour accroître leur audience, certains candidats gaullistes jouent du flou de leur identité politique, à la fois de gauche car radicaux ou plutôt de droite lorsqu'ils mettent en avant leur affiliation au R.P.F.. Pourtant exclu du parti radical en 1952, Robert Besson ne renie pas, ainsi, son appartenance idéologique au radicalisme.
De la même façon, Henri Monnet, conseiller de la République de 1946 à 1948, fait référence à l'étiquette gaulliste lorsqu'elle est électoralement porteuse, mais utilise d'autres affiliations politiques en fonction de la conjoncture : Union Démocratique et Socialiste de la Résistance, Union Gaulliste, Rassemblement des Gauches Républicaines, Parti Radical… Conseiller juridique et financier, Henri Monnet est titulaire des croix de guerre pour les deux conflits mondiaux et participe à la Résistance dans le Gers au sein du groupe de la Résistance Combat : commandant du maquis dit brigade d'Armagnac (1944), il est chargé de mission au cabinet civil du général de Gaulle en 1945.
Le radical Pierre Grenade, assistant de latin à la faculté de Bordeaux puis répétiteur de latin à l'Ecole Normale Supérieure, et fils d'un inspecteur de l'enseignement primaire de Mont-de-Marsan, joue un rôle fondateur dans le mouvement gaulliste landais. Désigné premier délégué départemental du R.P.F., il travaille à structurer un véritable parti avec une direction stable et des réseaux locaux. Les idées gaullistes sont propagées dans le département par le journal La Démocratie landaise, dont le directeur est Georges Sansoube. S'il s'agit officiellement de l'organe du Rassemblement des Gauches Républicaines, ce journal devient en réalité à partir de mai 1947 l'hebdomadaire du R.P.F..
La fédération landaise du R.P.F. revendique environ 2 000 cartes en septembre 1947, mais connaît dès 1948 une stagnation de ses effectifs militants qui déclinent rapidement l'année suivante. Selon le secrétariat national du parti, il y a ainsi 420 cotisants landais en 1949 et 590 en 1950. A l'échelle nationale, il s'agit d'une faible fédération. Pierre Grenade semble esseulé car la majorité des dirigeants fait preuve de passivité : ils se satisfont d'une instance d'investiture électorale sans trouver intérêt à un essor organisationnel du R.P.F..
Sans base populaire, le R.P.F. est en fait le parti de la petite bourgeoisie landaise : ses adhérents se recrutent parmi les classes moyennes et très peu de paysans ou d'ouvriers landais en font partie. Patrons, professions libérales et militaires occupent les positions clefs au sein de l'appareil du parti. Instrument de la stratégie électorale de notables souvent issus du radicalisme, le parti ne développe pas ses réseaux militants et l'implantation du courant gaulliste reste marginale dans les Landes.
Sans ancrage populaire, le R.P.F. séduit cependant électoralement une frange conséquente de la population landaise même si ses premiers résultats électoraux, de 1947 à 1953, sont plutôt décevants. Au scrutin municipal d'octobre 1947, le R.P.F. s'allie avec les modérés à Dax et avec les radicaux à Mont-de-Marsan. Reflet d'un flou idéologique, la stratégie politique de la formation gaulliste n'est donc pas claire mais semble cependant bénéfique : Robert Besson, à la fois radical et candidat du R.P.F., bat dans le chef-lieu le député maire sortant, le socialiste Marcel David et, deux années plus tard, remporte également, toujours au détriment de Marcel David, le siège de conseiller général.
A la tête du R.P.F. depuis avril 1947, Pierre Grenade laisse la responsabilité départementale du mouvement en novembre 1949 à Jean Gilliot. Né à Hagetmau, ce militaire de carrière a fait l'Ecole militaire de Saint-Cyr, dans la promotion 1910, celle du général de Gaulle. Combattant de la Première Guerre mondiale, il est prisonnier lors du second conflit mondial puis participe à la Résistance à l'occupant allemand : il est l'un des fondateurs de l'Organisation de résistance de l'armée (ORA) et, arrêté, est déporté. Il devient général de corps d'armée. Envoyé par les instances nationales dans les Landes pour clarifier la situation locale du R.P.F., le général Jean Gilliot ne reste cependant pas longtemps dans le département car au printemps 1951, il prend la direction de la fédération du parti de la Meuse où il est élu député.
Son successeur à la tête du R.P.F. landais symbolise la variété des parcours politiques menant au parti gaulliste : Pierre Lemée a milité avant-guerre dans les ligues se réclamant des vieux principes de la droite autoritaire opposée à la démocratie parlementaire. Ce notable rural réside dans la région forestière, au petit château du Penan, à Bretagne-de-Marsan. Il est d'abord industriel en produits résineux, puis fabriquant d'huiles de graissage avant de finalement se consacrer à la sylviculture. Son engagement politique remonte à la Première Guerre mondiale : sorti du conflit avec la croix de guerre, il devient membre des Croix de Feu, structure paramilitaire antiparlementaire, anticapitaliste et nationaliste. Lorsque cette organisation est dissoute par le gouvernement de Front Populaire en juin 1936, le colonel François de la Rocque, qui la dirige depuis 1931, reconstitue le mouvement sous la forme légale d'un parti qui prend le nom de Parti Social Français (P.S.F.). Maire de sa commune depuis 1933, Pierre Lemée passe au P.S.F. dont il est le responsable local puis participe à la Résistance. Dans ses nouvelles responsabilités à la tête de l'appareil départemental du R.P.F., il est notamment secondé par le médecin Pierre Carles, président du groupe R.P.F. de Morcenx.

Si une importante minorité de radicaux choisit le gaullisme, certains militants de la fédération landaise du parti radical restent cependant fidèles au radicalisme. Conduit par Camille Labat, ils luttent pour soustraire le parti radical de la main mise du R.P.F.. Lors du scrutin législatif de 1951 les radicaux " orthodoxes " forment ainsi une liste apparentée avec le M.R.P. et la S.F.I.O. tandis que le R.P.F. soutient une liste mi-gaulliste, mi-radicale intitulée liste Union Républicaine et de Progrès Social.

Conduite par Robert Besson, la liste soutenue par le R.P.F. comprend en seconde position l'avocat Max Moras. Ce fils d'un négociant en vin et épicier en gros de Dax, est membre du R.P.F. depuis son élection au conseil municipal de Dax, en 1947. Les deux autres membres de la liste sont Gustave Caliot, cadre de la fédération radicale-socialiste, vice-président du Conseil général, conseiller général de Mimizan et maire de Pontenz-les-Forges, et le propriétaire exploitant Jean Lascades, maire du village chalossais d'Ozourt. Ce dernier représente le Centre National des Indépendants et Paysans (CNIP), mais fut membre du parti radical.
La liste pro-gaulliste obtient ses meilleurs résultats dans le nord du département et dans les cantons où ses notables sont bien implantés : Mont-de-Marsan avec Robert Besson, Mimizan avec Gustave Caliot, Dax avec Max Moras. La répartition des forces électorales du R.P.F. révèle une continuité avec le radicalisme d'avant-guerre car il mord sur les anciennes positions radicales-socialistes.
Après ces élections, la crise dans le milieu radical s'achève par l'exclusion du parti radical de Robert Besson et de ses amis (Gustave Caliot, Georges Sansoube, Pierre Deyris) tandis qu'au R.P.F., contesté, Pierre Lemée cède la responsabilité du parti à Albert Marty. Les exclus démissionnent généralement avant la prise des sanctions et se rattachent aux " radicaux indépendants " : ils ne s'engagent donc toujours pas clairement dans le mouvement gaulliste et préfèrent conserver l'étiquette radicale qui bénéficie d'une forte charge historique dans le département. Dans cette optique, ils fondent une fédération départementale du RGR en novembre 1952.
Leur choix est aussi motivé par la crise nationale du R.P.F. : l'investiture d'Antoine Pinay à la tête du gouvernement en mars 1952 fait en effet éclater le R.P.F., puisque 27 de ses députés ont voté pour ce modéré. Le Général de Gaulle accorde la liberté aux parlementaires du R.P.F. en mai et le groupe gaulliste est remplacé à l'Assemblé nationale par l'Union des républicains d'action sociale.
Dès 1952, le déclin de l'activité gaulliste dans les Landes est patent : la permanence de Mont-de-Marsan est fermée. Pourtant Robert Besson est renouvelé à la tête de la mairie l'année suivante et le R.P.F. parvient à conserver les sièges occupés au conseil municipal de Dax. En réalité, le R.P.F. n'est déjà plus qu'un sigle électoral et ne représente plus une formation politique structurée. Peu d'élus insistent sur leur attachement au R.P.F. qui est utilisé comme une étiquette électorale vite abandonnée et, au plan national, le parti disparaît en septembre 1955 après que le général de Gaulle se soit retiré de la vie politique en juillet.
Certains gaullistes landais comme Pierre Grenade ou Pierre Lemée, rejoignent les Républicains sociaux mais cette formation gaulliste reste marginale dans les Landes. Ainsi Robert Besson reste-t-il à l'écart de ce mouvement, qui est pourtant l'héritier direct du R.P.F.. Réélu au Conseil général en 1955, Robert Besson est en tête au premier tour des élections sénatoriales de juin 1955, comme " radical indépendant " mais est tout de même battu au second tour de 18 voix (sur 826) par les socialistes. Le maintien du candidat radical-socialiste et les mauvais reports de voix du candidat indépendant et paysan jouent dans cet échec. Robert Besson devient cependant vice-président du comité d'expansion économique de Bordeaux et du Sud-Ouest et siège parallèlement au conseil économique et social.
Lors des élections législatives de 1956, Robert Besson mène à nouveau une liste d'Union républicaine et de progrès social ouverte à l'ensemble des forces de droite (en dehors des poujadistes) et du centre. A côté de candidats indépendants, elle comporte des élus locaux appartenant au RGR. La liste recueille 21 % des voix et Robert Besson, élu, s'inscrit au groupe du Rassemblement des Gauches Républicaines et du centre républicain. Membre de la commission de l'agriculture et de la commission des boissons à l'Assemblée, lors de son travail de parlementaire, Robert Besson dépose essentiellement des propositions de loi et de résolution concernant l'agriculture.
Les difficultés d'implantation du gaullisme dans les Landes renvoient d'une façon générale à la prégnance d'une tradition politique ancrée à gauche depuis le début du siècle dans la région du Sud-Ouest, une des zones géographiques les plus réfractaires au gaullisme. D'autre part, contrairement à la Gironde avec Jacques Chaban-Delmas, il n'existe pas de véritable leader gaulliste dans le département : Pierre Grenade ne se présente pas aux élections tandis que Robert Besson hésite constamment entre radicalisme et gaullisme. En outre la fédération landaise ne peut prendre appui sur un organe de presse spécifique et influent : le Rassemblement du Sud-Ouest, organe régional du mouvement n'est que faiblement diffusé.
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