Le Front populaire
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Tableau social des Landes des années 1930

1.1. La crise du monde paysan

Dans les années 1930, l'ensemble du monde rural français est atteint d'une grave crise et voit sa situation économique se dégrader. Les Landes, malgré leurs particularités, n'y échappent pas. Les trois principales productions agricoles françaises, le blé, le vin et la betterave sont les premières touchées. Mais rapidement, d'autres productions, plus centrales dans le département, sont également concernées. Frappés eux aussi par la crise, les consommateurs réduisent leurs dépenses. Le lait et les produits de l'élevage connaissent ainsi une rapide baisse de consommation, d'autant plus grave que ces produits constituent un revenu d'appoint important pour les métayers de Chalosse et pour les résiniers, car ils échappent au partage des récoltes. À l'échelle du pays, ces difficultés conjoncturelles viennent aggraver un malaise plus profond et plus chronique, lié à la situation sociale et politique de la paysannerie française. Les ruraux, encore inégalement organisés sur le plan politique ou syndical, sentent en effet de lourdes menaces peser sur leur mode de vie. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, l'exode rural ne cesse de s'accentuer. Signe de l'abandon de la vie rurale, à partir des années 1930, le rapport entre population rurale et population urbaine s'inverse pour la première fois en France, au profit de la seconde.


1.1.1. La zone forestière

La gemme n'est pas épargnée par la chute dramatique des prix des produits agricoles, et cette baisse est d'autant plus douloureuse qu'elle intervient après une période de hausse très importante. On constate toutefois que la crise ne fait qu'accélérer un mouvement déjà entamé à la fin des années 1920. La colère monte ainsi depuis plusieurs années chez les gemmeurs, irrités de voir chuter leurs revenus et de voir maintenues les conditions du partage de la récolte.


Les plus modestes des métayers ou des petits propriétaires sont contraints de louer leurs services chez d'autres, plus fortunés, à raison d'un salaire quotidien de 20 francs. Ces difficultés finissent de liquider, bon nombre des dernières petites propriétés qui subsistent difficilement depuis quelques décennies, au profit des grands propriétaires.


Cette dégradation dramatique des conditions de vie entrent également en résonance avec un malaise profond des métayers-gemmeurs face à l'organisation sociale de leur activité. Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, ils sont ainsi de plus en plus nombreux à réclamer un nouveau statut, plus proche de celui des ouvriers, qui mettrait fin aux archaïsmes du système des métayages. La baisse du prix de la gemme contribue à promouvoir la transformation du gemmage en activité salariée, et l'effondrement des revenus des gemmeurs accentue leur refus du système du métayage et de l'arbitraire des propriétaires.


La dégradation des conditions de vie des résiniers contribue ainsi à la dépréciation de leur mode de vie et encourage l'exode des jeunes ou de métayers découragés. Le mouvement est amplifié car ces difficultés n'apparaissent pas seulement passagères, mais intimement liées aux statuts du métayage lui-même. Toute la zone forestière est ainsi touchée par une accélération des départs. Dans le canton de Mimizan, par exemple, les communes rurales perdent près de 9 % de leur population entre 1931 et 1936, et certaines communes encore davantage, plus du fait de l'exode que du fait de la Première Guerre mondiale.


En parallèle, le mouvement de syndicalisation continue de prendre de l'ampleur, et la mobilisation des gemmeurs se fait de plus en plus grande (voir ci-dessous). Grace à cette mobilisation syndicale, les résiniers contribuent à une prise de conscience de leur détresse par les pouvoirs publics locaux et centraux. Pour la récolte de 1934, la réponse du gouvernement qui consent à accorder une indemnité de 10 centimes par litre de gemme, auxquels s'ajoute un fond d'aide d'un million de francs débloqué par le Conseil général des Landes. Ainsi, les résiniers percoivent-ils, en 1934, une aide s'élevant à environ 20 % de leurs revenus. Mais cette aide ne contribue qu'à renforcer le caractère obsolète du gemmage dans sa forme sociale d'alors. C'est pourquoi, à la même époque, diverses forces politiques, et en tout premier lieu les socialistes, développent une importante réflexion politique sur la situation des métayers (voir ci-dessous), réflexion qui ne peut toutefois aboutir à un véritable changement (voir ci-dessous).


Il est en tout cas certain que la colère grandissante des résiniers, associée à une remise en cause de leur statut relayée par une partie des forces politiques, contribue à préparer, sur le terrain social, la victoire électorale du Front Populaire dans le département. Le préfet des Landes sent bien l'importance de cette fermentation lorsqu'il écrit, dans son rapport au ministère de l'Intérieur daté du 17 novembre 1935 : " Il y a lieu de penser que le parti S.F.I.O. paraît avoir accompli des progrès sensibles dans la région entièrement forestière, où la mévente des produits résineux et ligneux n'a pas été sans créer de graves mécontentements. Le Parti communiste, d'autre part, est susceptible d'enregistrer des gains. "


1.1.2. La Chalosse

Plus proches de la paysannerie traditionnelle par le type de leurs productions agricoles et par leur mode de vie, les paysans de Chalosse n'en sont pas moins touchés par la crise économique qui gagne la France au cours des années 1930. Ils le sont tout d'abord par celle des produits agricoles traditionnels que sont le blé et la vigne, puis par celle du maïs, qui est la production principale des exploitations de la région. Il convient à nouveau d'évoquer la crise profonde de ce monde paysan, composé très majoritairement de métayers, auxquels s'ajoutent quelques rares petits propriétaires en faire-valoir direct. La taille des exploitations (rarement plus de 4 ou 5 hectares de terre labourable) maintient les paysans de cette zone dans une situation précaire et les rend d'autant plus sensibles aux fluctuations du marché. Cette précarité a pour conséquence, une mise en valeur des terres archaïque et non mécanisée. Les paysans utilisent encore la faux, ou même la faucille, pour récolter le blé. De façon générale, la vie des métayers de Chalosse est une vie rude, marquée par un travail acharné et par de nombreuses privations. En effet, les nouveaux impératifs de commercialisation des produits agricoles ont quelque peu modifié le comportement des paysans, qui ne sont plus organisés selon le principe d'autoconsommation, comme cinquante ans auparavant. Au contraire, les métayers réduisent au maximum la consommation de leur propre production et tentent d'en commercialiser la plus grande part. Ainsi, l'alimentation reste simple. Pas question, par exemple, de consommer les canards gras élevés dans la métairie, car ils constituent une source de revenus trop importante. Pour ces faibles rétributions, l'exploitation requiert pourtant un travail de tous les instants et la mobilisation de toute la famille. Dès douze ans, les fils de métayers quittent l'école pour se consacrer aux travaux agricoles, et dès quatorze ans ils sont employés à la récolte du blé ou du maïs.


Ces difficultés du mode de vie des paysans de Chalosse tiennent, tout comme pour les métayers-gemmeurs, au cadre social de leur activité, le métayage, et en premier lieu aux conditions du partage des récoltes. Dans cette zone, la règle est à la cinquette, 2/5 de la récolte pour le propriétaire et 3/5 pour le métayer. Cette règle s'applique en particulier aux récoltes de maïs et de blé, au foin, aux pommes de terre ou aux haricots. Seul le vin est partagé à moitié. Au partage de la récolte s'ajoutent surtout des clauses de plus en plus intolérables et humiliantes aux yeux des métayers. A divers moments de l'année, ceux-ci doivent en effet livrer différents produits à leur propriétaire : plusieurs volailles, une douzaine d'œufs à Pâques et en octobre, un jambon en novembre, etc. Seul le jardin potager et les arbres fruitiers échappent au partage. À ces diverses redevances s'ajoutent les journées de travail, dues régulièrement au propriétaire, et pour lesquelles les métayers ne percoivent aucun dédommagement.


" L'affaire Alnet " en 1934-1935 est restée célèbre pour illustrer l'arbitraire du traitement des métayers et leur situation de soumission aux propriétaires. En février 1934, Jean Lafourcade, propriétaire à Mimbaste et à Poyartin, convoque quatre de ses métayers pour une corvée de bois. Au cours de celle-ci, l'un d'entre eux, Henri Alnet, se blesse gravement au pied avec sa hache. Quelques mois plus tard, en mai 1934, il meurt des suites de cette blessure. Or, Jean Lafourcade signifie à la veuve d'Alnet qu'elle et ses deux enfants doivent quitter la métairie avant le 11 novembre. Malgré la mobilisation des métayers, Léontine Alnet ne recoit aucun dédommagement de la part du propriétaire, qui n'est pas assuré contre les accidents de travail. Elle doit quitter la métairie au jour dit. Elle est déboutée trois fois de sa plainte, par les tribunaux de Dax, de Pau et de Paris. Les " corvées " de ce type entrant dans le cadre du statut du métayage, il n'est pas possible, d'un point de vue légal, d'exiger une telle réparation.Cette affaire est significative de l'arbitraire auquel les métayers se sentaient soumis et de la tutelle qui pèse sur eux.


Deux autres moments récurrents de la vie des métayers de Chalosse permettent d'évaluer cette situation :

  • Le premier de ces rendez-vous a lieu tous les ans, en janvier. Ils sont alors conviés à un repas chez leurs propriétaires, pour faire les comptes, mais aussi pour lui signifier leur déférence. Les contrats de métayage prévoient en effet que le métayer doit offrir au propriétaire un jambon et deux balais confectionnés de ses propres mains avec du sorgho. Au cours du repas, le propriétaire place à ses côtés son ou ses métayers préférés, les plus productifs ou les plus dociles. Ce rendez-vous annuel est pour eux le signe de la tutelle qui pèse sur leur vie et sur leur activité ; il est la marque d'un paternalisme, de plus en plus intolérable dans les années 1930.

  • Seconde date particulièrement douloureuse de la vie des métayers de Chalosse, le 11 novembre, que l'on retrouve en particulier dans l'affaire Alnet évoquée ci-dessus. Tous les ans, à cette date, la campagne se couvre en effet du cortège des familles de métayers congédiées par leur propriétaire. Il semble que ces départs, le plus souvent forcés, aient particulièrement choqués les métayers, qu'ils aient été ou non directement concernés.


    Bien que les métayers de Chalosse soient moins organisés que les résiniers sur le plan syndical et politique, ils se heurtent à un ensemble de difficultés qui les rendent eux aussi sensibles à une remise en cause du statut du métayage. Dans cette partie du département des Landes, la colère couve donc également, même si elle ne parvient pas à trouver une expression aussi structurée que dans la zone forestière. Différents facteurs contribuent à une évolution parfois divergente de celle des résiniers. Contrairement aux gemmeurs, les métayers chalossais sont tout d'abord plus soumis à la tutelle politique des propriétaires. Mais surtout, les formes de leur activité amenent les métayers agricoles à remettre en cause le métayage au profit de la propriété de la terre, tandis que les métayers-gemmeurs aspirent depuis déjà plusieurs années à l'obtention du statut de salariés.
     
     

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