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Ouvriers et paysans landais en lutte
3.2. Les paradoxes du mouvement ouvrier landais :
Quelques semaines après la victoire électorale du Front populaire, un vaste mouvement de grève se diffusa sur l'ensemble du territoire français. Un peu partout en France, la très forte mobilisation ouvrière à l'occasion du 1er mai, entre les deux tours de l'élection législative, traduisait la forte mobilisation des salariés et de leurs organisations. Dès le 11 mai, des grèves avec occupation d'usine se déclenchèrent au Havre et à Toulouse. Le 26 mai, le mouvement se diffusa largement parmi les travailleurs de la métallurgie parisienne, et alors qu'à Paris le mouvement commençait de s'essouffler, il gagna la province au début du mois de juin. On recensa ainsi près de 2 millions de grévistes et 12 142 grèves dans toute la France, les trois quarts avec occupation d'usine. Comme nous l'avons montré plus haut, dans les " années trente ", le pôle essentiel du mouvement ouvrier landais résidait dans le centre ouvrier des Forges de l'Adour à Tarnos. Or le paradoxe du mouvement ouvrier landais à cette époque réside dans le fait que cette communauté ouvrière réduite mais particulièrement politisée, qui avait déjà porté à sa tête depuis de nombreuses années des élus communistes influents, ne fut que peu touchée par ce mouvement qui embrassait pourtant l'ensemble du pays. À Tarnos, l'essor du mouvement de grève ne fut en effet que de courte durée, du fait même de la force de l'organisation et de la mobilisation des ouvriers des Forges. La grève déclenchée au début du mois de juin 1936 ne dura qu'une journée, car les dirigeants des Forges, qui gardaient encore à l'esprit la grande grève de 1930 (voir Partie 3), cédèrent aussitôt aux exigences essentielles des salariés. Cette victoire sans réel combat coupa aussitôt l'élan de la mobilisation. La mobilisation ouvrière, qui gagna logiquement les Landes par le biais de leur principal centre industriel, échoua donc à se diffuser plus largement. Les diverses autres catégories d'ouvriers landais (ouvriers des ateliers de distillation, ouvriers bouchonniers ou cheminots), beaucoup plus dispersées, ne furent pas entraînées par la mobilisation des travailleurs des Forges et l'on n'observa pas de réelle mobilisation en dehors de ces dernières.
Toutefois, quelques mois plus tard, un autre événement vint offrir aux ouvriers des Forges l'opportunité de démontrer leur mobilisation : le déclenchement de la Guerre civile espagnole. Le 18 juillet, les militaires espagnols, emmenés par le général Franco, déclenchèrent depuis le Maroc le soulèvement militaire contre la République et contre l'union de Front Populaire portée au pouvoir par les élections de février 1936. Or divers facteurs contribuaient en effet l'implication des ouvriers de Tarnos dans le soutien aux républicains espagnols. Ces événements concernaient tout d'abord directement une partie des habitants de la ville, puisque depuis la Première guerre mondiale, l'entreprise accueillait une importante communauté espagnole qui prit rapidement fait et cause pour la République. Un certain nombre d'entre eux regagna donc rapidement l'Espagne pour se joindre aux combattants républicains. Puis, avec le refus du gouvernement Blum de lancer la France dans un soutien militaire actif au Front populaire espagnol, se mit en place un ensemble de structures illégales ou semi-légales de soutien logistique aux combattants. La proximité de la frontière espagnole fit alors rapidement de Tarnos un des maillons importants de la chaîne de solidarité mise en place en France.
À l'échelle nationale tout comme au plan local, le Parti communiste joua un grand rôle dans l'organisation de cette solidarité. Depuis l'écrasement de la révolte des mineurs des Asturies en octobre 1934, les communistes de la région Pyrénéenne avaient déjà organisé diverses structures pour cacher les militants espagnols pourchassés et pour les aider à entrer en France. Les responsables locaux bénéficiaient de ce fait d'une certaine expérience dans le domaine de l'activité illégale et disposaient déjà de contacts du côté espagnol. Dès les premiers moments de la guerre civile, l'organisation communiste entretint également des rapports fréquents avec les militants espagnols d'Irun, qui contrôlaient les postes frontières. Malgré la neutralité du gouvernement, la contrebande d'arme vers l'Espagne fut largement tolérée par les autorités et André Moine, dirigeant communiste de la région Landes-Basses Pyrénées, rapporte ainsi dans ses mémoires que le sous-préfet de Bayonne apportèrent leur soutien à l'activité des communistes. Sur la côte basque, les communistes, parfois aidés de quelques militants socialistes, organisaient le transport d'arme vers la frontière espagnole, par voie maritime ou terrestre. Les armes venaient le plus souvent de Bordeaux, puis transitaient par Tarnos où, avec l'appui de la municipalité communiste, elles étaient cachées dans la cave de la salle des fêtes ou dans le chantier d'une école. Les bénéficiaires de ce trafic étaient le plus souvent les combattants d'Irun ou de San-Sebastian. Cette activité illégale s'accompagnait également d'un important travail de propagande et par la mise en place d'un comité de soutien, chargé d'organiser la solidarité avec les forces républicaines espagnoles, puis avec les familles des combattants partis rejoindre l'Espagne. Après la création, en septembre 1936, des Brigades internationales, un certain nombre de volontaires landais issus de l'ensemble du département, rejoignirent l'Espagne pour combattre aux côtés des républicains, rejoignant les ouvriers espagnols partis des Forges.
La mobilisation en faveur de l'Espagne républicaine démontre à nouveau les capacités de mobilisation de la population ouvrière des Forges. La mise en place rapide de structures illégales de soutien, tout comme la solidarité exprimée par l'engagement des ouvriers dans les Brigades internationales, montrent la politisation et la très forte cohésion de cette communauté. Dans le même temps, cette puissance a sans doute privé le mouvement ouvrier landais dans son ensemble d'un certain dynamisme. L'atmosphère fortement unitaire et combative des années 1934-1936, entérinée par la victoire électorale du Front populaire, permettait aux organisations ouvrières landaises de connaître un certain essor de leurs effectifs (voir plus haut), mais cet essor ne fut pas relancé par les grèves de 1936. On peut penser que dans la période, l'enjeu dans le département des Landes se situait avant tout autour de la population des métayers. C'est parmi elle que les socialistes rencontraient leurs plus grands progrès, tandis que les communistes, qui ne pouvaient plus connaître de grands progrès parmi les ouvriers des Forges, se tournaient eux aussi vers une diffusion de leurs idées auprès la population rurale.
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