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La construction du Front populaire dans les Landes
La situation difficile des différentes catégories de paysans landais tout comme la forte cohésion des ouvriers des Forges de l'Adour constituaient un terreau relativement favorable au Front Populaire, dans un département où les idées radicales remportaient déjà un large succès. L'implantation croissante du Parti socialiste S.F.I.O. et l'ancrage du Parti communiste autour des Forges contribuèrent à la construction progressive de l'alliance du Front Populaire dans les Landes.
2.1. Les forces du Front populaire dans les Landes
2.1.1. Les socialistes
L'implantation de la S.F.I.O. dans le département des Landes reposait en grande partie sur sa présence aux côtés des métayers de la zone forestière, comme dans les cantons de Morcenx, Parentis-en-Born et Sabres, où ils connaissaient d'importants succès. Le Parti socialiste était également bien implanté dans les cantons de Roquefort, Gabarret et Mont-de-Marsan, dans le centre du département. Dans ces différentes zones, les socialistes concurrençaient de plus en plus les radicaux, déjà solidement implantés avant la Première guerre mondiale. Or la période des " années trente " apparaît décisive dans l'implantation du socialisme landais, du fait de la crise du métayage dans tout le département. Les militants et les responsables socialistes furent en effet les plus en pointe dans la réflexion menée sur le statut du métayage et sur les difficultés sociales des métayers, qu'ils vivent dans la zone forestière ou en Chalosse. Eugène Broca, secrétaire fédéral des Landes de 1932 à 1936 fut sans doute l'un des principaux artisans de la réflexion socialiste sur les questions du métayage. Spécialiste des questions agraires, inspiré par les traditions du socialisme français, et notamment par le jauressisme, ainsi que par les premières réflexions menées par Lamaison sur la situation des métayers landais, il créa et anima à partir de 1936, au sein de la Fédération socialiste, un groupe de réflexion sur la question du métayage. En parallèle à cette réflexion, les socialistes apportaient un soutien actif aux luttes des métayers résiniers et notamment à leur effort d'organisation. Les " années trente ", et notamment la période de construction du Front Populaire, virent également l'avènement d'une nouvelle génération de militants. Le plus célèbre d'entre eux est sans doute Charles Lamarque-Cando, qui conduisit dès cette époque la fédération vers d'importants succès. Parmi les autres militants influents de la fédération des Landes, on pourra également citer Camille Despujols, secrétaire de la section de Dax, trésorier de la fédération de 1930 à 1936 puis secrétaire fédéral adjoint après 1938, et délégué au Congrès national de février 1936. Despujols se livra lui aussi à une importante réflexion théorique et politique, mais qui dépassait le cadre des questions proprement landaises. Il se fit le défenseur d'une approche originale du socialisme, d'orientation clairement réformiste et basée sur la mise en place de structures coopératives.
 À la veille de l'avènement du Front Populaire, portée par ses nombreux efforts sur le plan théorique et sur le terrain des luttes, la fédération socialiste était portée par une profonde dynamique. Les premiers effets s'en firent sentir lors des élections partielles de janvier et février 1936, consécutives au décès de Léon Bouyssou, au cours desquelles on sentit progressivement une partie de l'opinion basculer du radicalisme vers le socialisme. La première de ces élections devait désigner le nouveau député de la circonscription de Mont-de-Marsan. La fédération n'ayant pu trouver de candidat local, on fit appel à l'avocat bordelais Prieur, qui ne faisait pas l'unanimité chez tous les militants. Malgré ces conditions difficiles, les socialistes menèrent une campagne particulièrement active. Signe de cette activité mais aussi de l'importance grandissante de la fédération socialiste des Landes, de grands noms du socialisme français vinrent apporter leur soutien au candidat Prieur lors de réunion publique. Le 11 janvier 1936, ce dernier rassembla 1 100 personnes dans le théâtre de Mont-de-Marsan. À la tribune, il fut soutenu par Paul Faure, alors secrétaire général de la S.F.I.O.. Le 17 janvier, c'est Vincent Auriol, qui l'accompagna lors d'une réunion publique à Mimizan. Ces soutiens ne suffirent pas à faire le succès du candidat socialiste, battu par le candidat radical-socialiste Robert Bezos. Toutefois, on put observer le renforcement du soutien des électeurs aux idées et à l'action des socialistes, qui remportèrent plus de 25 % des voix au premier et unique tour. L'élection cantonale partielle, dans le canton de Sabres, en février 1936, vint confirmer cette progression. Charles Lamarque-Cando, remarqué par ses camarades pour son activité lors de la campagne législative, fut désigné candidat par la fédération. Il remporta le meilleur score au premier tour avec 45 % des voix, puis, grâce au désistement des candidats communiste et républicain-socialiste, emporta l'élection au deuxième tour avec près de 63 % des suffrages. Réalisant la prédiction de Léo Bouyssou lui-même, qui déclarait, peu de temps avant sa mort " c'est un socialiste qui me remplacera ", Charles Lamarque-Cando devint ainsi le premier élu socialiste du Conseil général des Landes. Le dynamisme de la fédération socialiste des Landes se trouvait ainsi concrétisé et même rapidement renforcé par l'action de Lamarque-Cando. Suite à ce succès, Lamarque-Cando devint la figure de proue de la fédération S.F.I.O. des Landes, dont il devint secrétaire quelques mois plus tard. Il contribua également au renforcement de son audience en participant à la création du journal de la fédération, Le Travailleur landais.
Soutenus par la mobilisation des métayers en faveur de l'alliance à gauche et d'un changement de leur statut et de leurs conditions de vie, les socialistes apparaissaient à la veille des élections d'avril et mai 1936 comme la force politique montante dans le département des Landes. Au cours des " années trente ", et notamment au cours des années de préparations de l'alliance de Front Populaire, ils ont su asseoir leur organisation sur une grande partie de la population landaise, et en premier lieu de la population laborieuse du massif forestier, et se mobiliser pour apporter des propositions aux aspirations de cette dernière.
2.1.2. Les communistes
En comparaison des succès grandissants des socialistes dans le département, la situation des communistes, autre force influente de l'alliance de Front Populaire à l'échelle du pays, apparaît beaucoup moins favorable. Premier signe de cette faiblesse, il n'existait pas dans les " années trente " de fédération communiste des Landes, mais une organisation conjointe pour le département des Landes et celui des Basses-Pyrénées (aujourd'hui Pyrénées Atlantiques), placée sous l'autorité d'André Moine. Ce regroupement est la preuve de la faiblesse des effectifs dans ces deux départements et des difficultés de l'implantation du Parti communiste auprès de leur population. Ainsi, dans un rapport d'organisation d'octobre 1935, la fédération était classée, avec celles de Charente, du Doubs et des Alpes, parmi celles qui " restent franchement mauvaises " du fait de la faiblesse ou des difficultés de leur activité. Avant 1934 et les premières discussions autour d'une alliance des forces de gauche, l'organisation du Parti communiste dans la région recoupait finalement la géographie de la population ouvrière et était donc essentiellement centrée sur les Forges de l'Adour. Ainsi, entre 1931 et 1935, les deux seules cellules d'entreprise de la fédération étaient celles des Forges. L'usine fournissait alors depuis les " années vingt " de nombreux militants et cadres ouvriers, et grâce aux municipalités, le parti y avait conquis une position institutionnelle qui renforçait son ancrage (voir partie précédente). A l'opposée de ce profond enracinement à Tarnos, l'implantation dans le milieu pourtant très politisé et actif des résiniers restait encore limitée et le nombre de cellules locales était lui aussi réduit. Depuis le début de la décennie, les communistes multipliaient toutefois les efforts pour organiser et mobiliser les métayers, dans les cadres de la CGPT et des Comités de défense paysanne. Lors de l'affaire Alnet (voir plus haut Le Front populaire(1934-1939) > Tableau social des Landes des années 1930 > 1.1 La crise du monde paysan > 1.1.2 La Chalosse) Vital Gilbert, sans doute le plusemblématique des militants paysans communistes landais, alors conseiller municipal d'Hossegor, mena ainsi la campagne de solidarité en faveur de la veuve du métayer Henri Alnet et fut l'un des fondateurs et animateurs du " comité Alnet ", créé pour soutenir cette lutte.
L'ensemble de ces efforts en direction de la population rurale découlait de la politique d'ouverture du Parti communiste au plan national et dont l'alliance de Front Populaire fut l'aboutissement. Or, malgré ces efforts d'ouverture et d'élargissement de la base militante, l'organisation restait fragile et ses moyens très limités. On put en avoir la démonstration lors des élections partielles de janvier et février 1936. Lors de la campagne législative le candidat communiste Landaboure parvint à attirer un millier de personnes au théâtre de Mont-de-Marsan pour une réunion publique, presque autant que le candidat socialiste, et il rassembla un peu plus de 12 % des suffrages. Mais dans le cadre de la campagne pour les élections cantonales, qui nécessitaient de nombreux déplacements, les difficultés se firent cruellement sentir. Contraint de se déplacer en vélo, Landaboure, à nouveau candidat, ne put même pas visiter toutes les communes. Cette absence fut sanctionnée par un score inférieur à 4 % des voix. À cette époque, le Parti communiste ne présentait bien souvent que des candidats de principe et ne pouvait s'assurer partout de l'appui de militants locaux ou d'un véritable soutien populaire. C'est en fait grâce à la dynamique créée par le rapprochement avec les radicaux mais surtout avec les socialistes, sur le terrain politique mais aussi syndical (voir ci-dessous), que l'influence du P.C.F. commença à se concrétiser par un renforcement de l'organisation en terme d'effectifs et d'implantation. On constate en effet qu'en 1935, le nombre de cellules locales, et notamment de cellules en milieu rural, était parvenu à 34. En 1938, ce chiffre avait encore augmenté et l'on comptait une quarantaine de cellules locales. Le parti avait également conquis de nouvelles positions en milieu ouvrier puisqu'on dénombrait alors 14 cellules d'entreprises, contre seulement 2 aux forges trois ans plus tôt. Comme le montre la carte [5] de l'implantation des cellules dans les Landes, l'organisation communiste commençait alors à établir un maillage plus étroit du territoire, ce qui constituait à la fois l'aboutissement des premiers progrès et la condition d'un essor futur.
2.1.3. Les dissidences landaises
Dans cette période unitaire, quelques militants politiques landais élevèrent une voix dissidente. Les deux figures majeures de ces dissidences landaises furent sans doute Jean Lartigau et Jean Gassies. Tout deux représentaient deux des tendances qui défendirent une politique originale dans la période. Jean Lartigau appartenait à la minorité socialiste de la Gauche Révolutionnaire, animée par Marceau Pivert. Cette tendance de la S.F.I.O. défendait une position radicale d'inspiration marxiste, et luttait contre l'orientation réformiste du parti socialiste en mettant en avant diverses idées forces (anti-capitalisme, anti-fascisme et pacifisme), issues des diverses tendances du mouvement ouvrier révolutionnaire international. Au moment de la victoire du Front populaire et de la vague de grève de mai-juin 1936, les " pivertistes " défendirent l'idée d'une possibilité révolutionnaire en France. Jean Lartigau se fit le défenseur de ces positions au sein de la fédération des Landes, mais resta isolé dans le département. Cet isolement l'aurait rapproché, pendant la Seconde guerre mondiale, des communistes.
Jean Gassies fut lui aussi proche des pivertistes mais son itinéraire est surtout marqué par une situation en marge des principales organisations ouvrières, du fait de son exclusion des Jeunesses Communistes dans sa jeunesse puis de sa démission de la S.F.I.O. lors de l'exclusion de la Gauche révolutionnaire. Proche des idées révolutionnaires de la Gauche prolétarienne, il fut dans les " années trente " un militant pacifiste ardent, se consacrant avant tout à l'activité syndicale.
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