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5. Le syndicalisme paysan
5.5. Les gemmeurs en lutte
Concernant le gemmage, depuis 1926, le prix de la barrique de 340 litres (unité de mesure de la résine) baisse constamment :
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En réaction à cette situation, des conflits éclatent. À Maillas (nord du canton de Roquefort), les métayers-résiniers, sous l'impulsion du président local de la CGPT, Darroman, décident en 1931, de ne plus porter les redevances aux propriétaires. Au printemps 1932, les gemmeurs des forêts communales du secteur de Capbreton réclament une augmentation de 20 % de leur part sur la barrique de gemme : 83 gemmeurs communaux manifestent à Hossegor. Ils finissent par obtenir gain de cause, le 27 juin, grâce à l'action de Vital Gilbert, élu municipal communiste de Soorts-Hossegor.

En février 1934, éclate " l'affaire Alnet " à Mimbaste : Jean Lafourcade, propriétaire à Mimbaste et Poyartin convoque quatre de ses métayers pour une corvée de bois. Alors qu'il abattit un arbre, Henri Alnet, l'un de ces métayers, se plante la hache dans le pied. Il meurt, des suites de l'hémorragie de sa blessure, le 1er mai 1934. Lorsque Jean Lafourcade signifie alors à sa veuve qu'elle et ses deux enfants doivent quitter la métairie avant le 11 novembre, un vaste mouvement de solidarité s'engage à l'initiative du comité de défense paysanne de Mimbaste, animé par Adrien Bargelès, dit " Cassou ". L'objectif de la mobilisation est d'apporter un soutien à la veuve et d'obtenir réparation pour la mort du métayer auprès du propriétaire, qui n'est pas assuré contre les accidents du travail. Avec l'aide du militant communiste, Vital Gilbert, le comité de défense paysanne organise différentes réunions publiques mais se heurte à l'hostilité des autorités. Le 11 novembre, Léontine Alnet et ses deux enfants sont accueillis dans la métairie du " Grand Hourcq " à Clermont, par le propriétaire. Si le médecin qui a soigné son mari, accepte de renoncer à une grande partie de ses honoraires, les tribunaux de Dax, puis Pau, puis Paris, donnent raison au propriétaire qui ne verse aucun dédommagement.
La majorité des gemmeurs se tient cependant à l'écart des organisations syndicales traditionnelles et est affiliée à la Fédération des gemmeurs. Après la Première Guerre mondiale, la plupart des syndicalistes se démarquent progressivement du mouvement paysan. Ils ne mènent plus la lutte au nom de la paysannerie dans son ensemble, mais au nom des gemmeurs en particulier. Les relations avec les syndicats traditionnels changent et le discours syndicaliste s'oriente vers la revendication du statut d'ouvrier. Les leaders syndicaux ne réclament jamais l'accès à la propriété de la terre, façon de se démarquer des métayers de la Chalosse, qui mettent clairement en avant ce droit. Le discours se concentre sur l'opposition métayers/propriétaires, ces derniers étant assimilés à l'ennemi. Les manifestations et grèves sont des moyens pour imposer l'ouverture de négociations, mais le déclenchement d'actions dans le massif forestier est difficile, en raison de l'isolement des gemmeurs : ils mènent une activité solitaire, étendue sur plusieurs centaines de milliers d'hectares aux communications difficiles. Les réseaux familiaux ou d'amitiés et les petits groupes informels sont donc au centre de la mobilisation des gemmeurs.
Au cours des années 1930, le mouvement des gemmeurs au sein de la Fédération des gemmeurs et métayers du Sud-ouest se radicalise. Les congrès de Labouheyre, le 27 novembre 1932, et de Magescq, le 31 décembre 1933, expriment des revendications ardentes sur le " prix minimum garanti ", la révision des conditions du métayage et réclament une allocation de crise. Dans le même temps, plusieurs luttes de métayers-résiniers se déroulent, suite à la baisse du cours de la gemme qui entraîne chômage et misère.
L'explosion a lieu en 1934. Exaspérés par le paiement à la fin de la campagne 1933, les gemmeurs entrent massivement en action. Le 11 février 1934, un meeting rassemble 2 000 gemmeurs à Soustons. Le député radical Robert Lassalle y dit son espoir de voir les résiniers toucher une allocation de 76 F par barrique. En réalité, l'allocation atteindra 37 F par barrique. Néanmoins, le mécontentement augmente et une manifestation est préparée par les syndicats des gemmeurs métayers pour le 18 mars 1934 à Mont-de-Marsan. Bien que les propriétaires exploitants-gemmeurs et les gros propriétaires forestiers s'allient au mouvement, l'appel est signé par la Fédération des gemmeurs (autonome), la C.G.T. du Bassin de l'Adour, la C.G.T.U. et la CGPT.
La manifestation réunit 15 000 travailleurs des Landes, de la Gironde et du Lot-et-Garonne. Les revendications portent sur l'indemnisation, l'augmentation du prix de la gemme et une nouvelle répartition des récoltes (2/3 pour les métayers) et les manifestants crient des slogans hostiles à Joseph Caillaux, Président de la commission des finances du Sénat, qui vient de réduire le budget des indemnisations. plus de 600 gendarmes ont été réquisitionnés pour surveiller cette manifestation colorée de nombreux drapeaux rouges et qui scande l'Internationale. Parmi les participants, on distingue les principaux leaders syndicaux (Charles Prat de la Fédération des gemmeurs, Joseph Désarménien de l'Union C.G.T. de l'Adour, Eugène Lasmarie de la C.G.T.U.) mais aussi des députés des Landes (Pierre Deyris, Antoine Dubon et Robert Lassalle), de Gironde (Lafaye et Cazalet) ainsi que le député du Lot-et-Garonne, Renaud Jean. Outre de nombreux conseillers généraux et élus locaux, les membres de la direction du syndicat des propriétaires forestiers dont le président est Roumégous (conseiller général de Pissos), participent au cortège, car ils revendiquent eux aussi l'allocation de crise. Le préfet reçoit une délégation composée de 7 militants syndicaux, de 6 représentants des propriétaires et de 5 parlementaires ou représentants des conseillers généraux.
A l'issu de la manifestation, la Fédération des gemmeurs appelle à la tenue d'une réunion intersyndicale le 21 mars 1934 à Morcenx. Plus de 400 délégués y sont présents et remplissent la salle des fêtes. Le débat très vif porte essentiellement sur la question de la grève générale. L'assemblée vote finalement un ultimatum au 12 avril, pour le versement des 12 millions promis comme " avance " par le gouvernement. D'autre part, le 26 mars, une pétition de 85 conseillers municipaux landais et girondins est adressée au préfet. Au final, les gemmeurs obtiennent une indemnité de 10 centimes par litre de gemme récolté pour la campagne 1934. Surtout, cette mobilisation entraîne l'adhésion de 8 000 gemmeurs supplémentaires à la Fédération des gemmeurs et métayers du Sud-ouest. En 1933, 25 syndicats sont membres de la fédération, qui revendique alors 3 000 adhérents, puis en 1934, 82 syndicats sont recensés.
La grève du gemmage s'est également développée en pays de Born et du Marensin pendant les mois de mars, avril et mai de l'année 1934, sous l'impulsion de Louis Duclos, leader des grèves résinières de 1907. La grève est ponctuée de nombreux meetings, manifestations et incidents au cours desquels les pots des non-grévistes sont brisés. Par exemple, dans la commune de Lit-et-Mixe, 160 métayers et résiniers et 40 ouvriers résiniers se sont mis en grève. À Sainte-Eulalie-en-Born et à Mimizan, le mouvement se prolonge même jusqu'à la fin de la campagne de gemmage. Dans ces deux communes, la grève est très dure et de nombreux affrontements ont lieu avec les non-grévistes.
Dans cette région, le mouvement est conduit par les gemmeurs domaniaux du littoral atlantique qui s'organisent plus fortement. Depuis 1932, les gemmeurs domaniaux ont notamment réussi à obtenir une majoration de 20 % du partage 50/50 de la récolte. Le 3 novembre 1934, est créée la Fédération des gemmeurs du Littoral, qui, peu de temps après, devient l'Union des Gemmeurs Domaniaux. Elle se propose " de grouper tous les gemmeurs de la forêt domaniale, d'exiger l'établissement d'un statut des gemmeurs travaillant dans les forêts domaniales et le littoral ".
Ses buts sont les suivants :
" Resserrer les liens de fraternité et de solidarité qui existent dans la grande famille des gemmeurs et de tous les exploités en général.
Exiger l'établissement d'un statut juridique des gemmeurs travaillant dans les forêts domaniales et du littoral afin que le taux horaire de leur travail ne soit jamais inférieur au taux horaire des travaux exécutés dans les divers chantiers de l'État.
Relever le niveau moral et intellectuel de ses adhérents. "
Louis Duclos, de Sainte-Eulalie-en-Born est élu secrétaire de l'Union des syndicats des gemmeurs du littoral, tandis que le militant socialiste Louis Dupuy, membre dès sa fondation (1er août 1912) du syndicat des résiniers et parties similaires de Biscarrosse dont il est le président après 1924, en est le secrétaire adjoint.
Après plusieurs mois d'agitation sociale, un congrès extraordinaire de la Fédération des gemmeurs et métayers du Sud-Ouest a lieu à Morcenx, le 30 septembre 1934 (87 syndicats représentant 10 000 adhérents y sont représentés), puis le XXVe congrès de la Fédération se tient à Linxe les 29 et 30 décembre 1934 (90 syndicats y sont représentés). Joseph Désarménien, de la C.G.T., y pose clairement les rapports de classe et apostrophe les délégués : " Voulez-vous être salariés ou métayers ? ". Le mouvement se rattache à l'Union des syndicats confédérés de l'Adour, dirigée par Joseph Désarménien. L'adhésion à la C.G.T. devient donc officielle, alors qu'elle n'est jusque-là que " morale ".
En 1934, une nouvelle génération de militants rejoint la fédération, à l'image de Charles Prat, alors âgé de 36 ans, gemmeur du syndicat de Lévignacq et qui devient en 1934, secrétaire de la fédération qui revendique alors l'adhésion 10 000 des 12 000 gemmeurs du massif forestier. Grâce à l'influence de Charles Prat, le syndicat s'implante massivement dans la Grande Lande (région de Luglon, Ygos, Sabres, Commensacq, Arengosse), et la Fédération tire bénéfice du mouvement de syndicalisation accompagnant les luttes sociales. Cet essor des effectifs doit beaucoup aux gemmeurs domaniaux.
Si la Fédération des gemmeurs et métayers du Sud-Ouest affiliée désormais à la C.G.T., détient un quasi monopole sur la syndicalisation des gemmeurs dans le massif forestier de la Grande Lande, les syndicats du littoral atlantique restent organisés en une fédération automne, tandis que dans la région de Gabarret et dans la frange boisée du Lot et Garonne, les gemmeurs font partie de la branche agricole de la C.G.T.U., dont le siège est à Casteljaloux avec pour secrétaire Renaud Jean.
Comme les deux années précédentes, la campagne du gemmage de 1935 s'annonce difficile : on craint l'absence totale de subventions. Le 21 février 1935, à Morcenx, la réunion du Comité fédéral de la Fédération des Gemmeurs décide le lancement d'une grande pétition, l'organisation de plusieurs manifestations et la tenue d'un congrès intersyndical.
Le 29 mars 1935, la Chambre des députés adopte un projet de loi tendant à créer un fonds d'aide pour la défense et l'assainissement des marchés agricoles du lait, de la viande et des résineux. Parmi les 110 millions débloqués, 10 reviennent aux gemmeurs en 1935. La veille, un congrès extraordinaire de la fédération des gemmeurs s'est réuni à Morcenx : jugeant le projet de loi insuffisant, les syndicalistes réclament un prix minimum du cours de la barrique. Le 14 avril 1935, 12 000 gemmeurs des trois départements du Sud-Ouest se réunirent aux arènes de Bouscat près de Bordeaux. Cette pression contribue au vote de la loi du 5 juillet 1935, qui offre une prime à l'exportation des produits résineux et assure ainsi une augmentation du prix de la gemme. Un organisme placé sous l'égide des hauts fonctionnaires des Eaux et Forêts et dans lequel sont présents les gemmeurs, est chargé de fixer les primes.
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