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5. Le syndicalisme paysan
5.1. L'agitation paysanne de l'après-guerre
 La Première Guerre mondiale favorise un rapprochement entre le monde ouvrier et le monde rural : les jeunes paysans sont aux côtés d'ouvriers dans l'épreuve du feu. Après le conflit, les mouvements paysan et ouvrier s'entremêlent : les paysans bénéficient de l'organisation des ouvriers. Ainsi en 1920, les métayers du Bas-Adour recoivent le soutien des syndicalistes ouvriers de Boucau et Tarnos dans le cadre de leur travail d'organisation, tandis que les paysans expriment leur solidarité par la distribution de produits agricoles aux grévistes des Forges, lors des conflits de 1920 et 1930.

Le mouvement paysan de l'après-guerre doit ainsi beaucoup aux militants ouvriers du Boucau qui, durant l'été et l'automne 1919, impulsent la syndicalisation des métayers, jusqu'alors particulièrement inorganisés car, avant la guerre, seules deux communes, Habas et Pomarez, avaient un syndicat. L'éclosion des syndicats de métayers au sortir de la guerre est préparée par le secrétaire du syndicat des métallurgistes des Forges de l'Adour, Alexandre Viro, un Italien venu très jeune en France. Il organisa les métayers du Bas-Adour en syndicats, notamment dans les communes environnant Saubrigues où un de ses cousins, est métayer. Il écoute les doléances de celui-ci et lui propose d'aller tenir une réunion à Saubrigues, le 27 juillet 1919. Il harangue alors les métayers tous présents et leur explique la nécessité du syndicat. À la fin de la réunion, le premier syndicat du Bas-Adour est né.
Avec Joseph Desarménien, le secrétaire de l'Union des syndicats ouvriers de l'Adour, il parcourt les villages et les syndicats se multiplient dans les régions de Seignanx, Tyrosse, Gosse, Marenne, du Pays d'Orthe et dans tout le Bas-Adour. Le nombre de syndiqués est rapidement important : 114 à Saubrigues, 150 à Saint-Laurent-de-Gosse et Sainte-Marie-de-Gosse. Des cahiers de doléances sont mis au point dans chaque commune.
Un premier violent conflit éclate durant l'hiver 1919, à Saubrigues. Les métayers en lutte de ce village se sont associés en septembre au sein d'un syndicat dirigé par Jean-Baptiste Miremont. En octobre, à l'initiative de ce syndicat de Saubrigues, 14 syndicats s'accordent pour envoyer de nouvelles conditions de métayage aux propriétaires. Les manifestations, l'agitation, les réunions nombreuses et très suivies inquiètent les propriétaires et les pouvoirs publics, d'autant plus que plusieurs listes de métayers sont élues lors des élections municipales de novembre 1919 (Tilh, Ossages, Sainte-Marie-de-Gosse…). Aux élections pour les conseils généraux et d'arrondissement, en décembre 1919, le canton de Saint-Vincent-de-Tyrosse élit deux défenseurs des métayers, Delest, conseiller général, et Joseph Marmande, conseiller d'arrondissement.
 Les propriétaires n'ayant pas répondu aux syndicats, le 17 février 1920, la Fédération des syndicats des Métayers du Bas-Adour (affiliée à la C.G.T.) se réunit à Saubrigues où l'on proclame " la grève générale " pour pousser les propriétaires à négocier. Le 18 février se déroulent à Saubrigues les premières actions puis, le 20 février, le marché de Saint-Vincent-de-Tyrosse est boycotté et des routes barrées. Les syndicats appliquent donc le boycott des marchés et ils appellent à une grande manifestation, pourtant interdite qui réunit plus de 7 000 personnes. Les métayers du Bas-Adour et de la Chalosse refusent en masse de payer les redevances et de donner au propriétaire sa part de récolte de maïs.
L'agitation paysanne impulsée par les envoyés de la C.G.T. prend donc une ampleur importante : c'est la première fois que des exploitants qui n'ont pas le statut de salariés font effectivement la grève contre leurs propriétaires, risquant la ruine et le renvoi. Ce changement d'attitude est lié aux répercussions de la Première Guerre mondiale par la rupture des liens coutumiers qu'elle a provoquée. Le tissu social particulier liant les possédants du sol et leurs métayers est déchiré par les sacrifices du petit peuple sur le front, mais également par les rencontres opérées au cours du conflit, notamment avec des ouvriers. Chez les métayers revenus du front, au terme traditionnel de " meste " se substitue symboliquement celui de " patron ". Les revendications grandissent du fait des contacts avec d'autres cultivateurs sur le front et de la comparaison qu'elle induit de leur situation avec d'autres fermiers ou métayers. Les agriculteurs landais ont également pu comparer leur mode de vie à celui des citadins, ou à celui des agriculteurs allemands et ont mieux pris conscience de leurs retards. Ce changement de mentalité rend insupportable les redevances et les corvées, deux revendications qui sont les supports de la mobilisation. Le notable n'a désormais plus la même audience.
 Le conflit de 1920 est l'œuvre de paysans misérables totalement dépendants de leurs propriétaires, ils souhaitent obtenir à la fois un meilleur partage de la récolte (un tiers pour le propriétaire au lieu de la moitié), et la suppression des redevances en nature et des corvées. La modification des statuts du fermage (nouveaux partages des récoltes, fin des corvées et des redevances exigées par les propriétaires…) est donc au cœur des revendications qui visent les bailleurs.
Suite aux réunions syndicales qui ont préparé le mouvement, Auguste Larrouy de Pey a été désigné comme le responsable des syndicats (on disait " lou syndicat dou Larrouy "). Né dans une famille de colons fixés depuis plus de deux cents ans sur la même métairie jouxtant le château dit du " Geloux " appartenant à la famille Terrier, Auguste Larrouy est l'un des principaux leaders paysans des Landes. Il tient des réunions au lieu-dit " Bel Air ", petite buvette du sud de Pey, où l'affluence est toujours nombreuse, venant de loin. Son passé de marin explique pour beaucoup ses idées révolutionnaires : il est influencé par l'affaire des mutins de la Mer Noire, qui refusent d'intervenir contre la jeune République soviétique de Russie. Des mutineries se sont en effet produites dans le corps expéditionnaire envoyé à Odessa contre les bolcheviques et dans les navires de guerre qui l'accompagnaient. Son cas n'est pas isolé : plusieurs métayers des Barthes de l'Adour sont inscrits maritimes et ont effectué plus de 5 ans de présence sur les navires de guerre. La plupart d'entre eux sont influencés par la révolte des marins de la Mer Noire et rentrent chez eux avec des idées révolutionnaires. Ainsi Auguste Larrouy apprend-il à ses camarades " Odessa-Valse ", la chanson des mutins de la Mer Noire.
Sous l'impulsion de ces métayers éveillés aux idées révolutionnaires, la lutte est longue et violente, avec refus de partage des récoltes et arrêt des livraisons. L'une des formes les spectaculaires du conflit est l'organisation de grèves du pain, notamment à Sainte-Marie-de-Gosse, du 24 au 26 février 1920. Les métayers de ce village sont à la pointe du mouvement depuis ses débuts. Ils réclament de nouvelles conditions de métayage dès le mois d'août 1919, époque du renouvellement des baux entre propriétaires et métayers. Le 15 août, à l'occasion des fêtes du village, Alexandre Viro se rend à Sainte-Marie-de-Gosse, pour prononcer un discours et un syndicat de métayers est constitué le soir même. Le 30 novembre, les élections municipales se déroulent dans un climat de crise : ce jour-là, le docteur Dichas, maire sortant, médecin et important propriétaire, est battu par Joseph Marmande.
Lors du conflit du début de l'année 1920, le 24 février, les métayers bloquent les boulangeries et refusent de laisser prendre du pain à tous les non-syndiqués, qu'il s'agisse de gros propriétaires, de petits propriétaires exploitants, de métayers non exploitants ou de toute autre personne non-syndiquée, même de profession non-agricole. Durant trois jours, les domestiques sont pratiquement les seuls non-syndiqués autorisés à acheter du pain, ce qui constitue un signe de défiance à l'égard des propriétaires. Le maire soutient les métayers et il ne s'empresse guère de signaler les désordres au sous-préfet. Ce n'est que le 27 février, lorsque des gendarmes à cheval arrivent que la situation se débloque.
 Probablement initiée par la C.G.T., cette action vise à la fois à redynamiser le mouvement de contestation et à montrer la force de l'organisation syndicale. Grâce à des opérations de ce type, le processus de négociations entre propriétaires et métayers, au point mort depuis novembre 1919, connaît une forte accélération et le conflit aboutit à une victoire juridique : le 11 mars 1920, un accord réglementant les nouvelles conditions de métayage donnant partiellement satisfaction aux métayers est signé à la sous-préfecture de Dax. Conclu par la commission mixte des propriétaires et des métayers du Bas-Adour sous la présidence de Bourienne, préfet des Landes, l'accord concerne 27 communes : 6 dans le canton de Saint-Martin-de-Seignanx, 10 dans celui de Saint-Vincent-de-Tyrosse, 5 dans le canton de Soustons, 2 dans celui de Peyrehorade et 4 dans celui de Dax.
Le chant des métayers
À partir de la mi-mars 1920, l'agitation se propage en pays d'Orthe et en Chalosse, touchant nombre de communes non mentionnées dans les accords de Dax. Les syndicats tentent en effet d'obtenir que ces avantages soient étendus et généralisés. Le mouvement a ainsi un écho au sud de l'Adour, dans la Chalosse, où les métayers tentent de faire appliquer les dispositions de l'accord de Dax. Comme les propriétaires montrent non seulement peu d'entrain à généraliser l'accord, mais également à en appliquer les clauses, de nouveaux troubles sérieux éclatent. D'autant plus que des expulsions de métayers, notamment à Sainte-Marie, ont lieu lors de la saison de renouvellement des baux, durant l'été. Les métayers lancent une grève des battages et refusent le partage du blé le 5 juillet 1920. La révolte des métayers souvent jeunes se radicalise. Les propriétaires fonciers ne sont plus les seuls visés, chaque habitant doit " choisir son camp " : soit il est syndiqué et au côté des métayers, soit il reste non-syndiqué et se range dans le camp des propriétaires. Ainsi le 14 juillet, une manifestation contre un métayer " jaune " se déroule à Tilh, et le lendemain, une manifestation réunit 5 000 personnes à Habas.
 Le 28 juillet 1920, au marché de Peyrehorade, le congrès des métayers décide de refuser de partager les récoltes autrement que selon les conditions des Accords de Dax, mais les propriétaires sentant la fin du mouvement et la démobilisation des paysans, refusent d'appliquer l'accord. La répression commence dès le 15 août : les meneurs reçoivent une lettre de congé et au total 300 métayers sont mis en demeure de quitter le domaine où ils travaillent. Si le député radical Léo Bouyssou crée un comité de conciliation qui permet le report d'une centaine de congés, la plupart sont maintenus. Des ordonnances en référé, à partir du 20 novembre 1920, accordent aux métayers congédiés et sans abri, des délais de trois mois supplémentaires, à dater du 11 novembre, pour quitter les lieux.
La plupart des expulsés sont des responsables syndicaux signataires de l'accord. On y trouve notamment les deux principaux leaders Auguste Larrouy (de Pey) et Duhau (de Sainte-Marie-de-Gosse). Souvent, ces syndicalistes sont d'anciens combattants, ce qui accroit la réaction des métayers, d'autant que la police et l'armée (des tirailleurs sénégalais surtout) viennent sur place mater les mécontents que la justice dans le même temps condamne. La stratégie des propriétaires vise donc à frapper d'abord et durement les leaders syndicaux. La troupe intervient pour circonscrire les conflits qui éclatent par solidarité avec les métayers expulsés. Ainsi, une manifestation de plusieurs centaines de métayers se déroule pour s'opposer à l'expulsion de Madame Comet, veuve de guerre, mère de quatre enfants, mais 70 gendarmes appuyés par un détachement de tirailleurs sénégalais rendent toute opposition vaine. Après que quatre délégués syndicalistes ont été reçus à Paris par les 5 députés landais, le calme revient et les tirailleurs sénégalais quittent la région à la fin de l'année 1920.
 Auguste Larrouy refuse de partir, et son procès du 2 décembre 1920 contre sa propriétaire, la veuve Terrier, du Château de Geloux, fait jurisprudence. Auguste Larrouy prétend que le motif de son renvoi est purement syndical. Il faut en apporter la preuve. La veuve Terrier avance que le renvoi sanctionne, une diminution notable des revenus de la métairie, le fait que Larrouy maltraite les animaux qu'on lui a confiés, enfin qu'elle a l'intention de procéder à divers changements dans les locaux, jardins, et instruments de culture. Le tribunal se range à l'avis de la propriétaire. Auguste Larrouy devient gérant de la succursale tyrossaise des coopérateurs du pays basque et de l'Adour, tandis que Duhau est hébergé par Joseph Marmande, maire de Sainte-Marie-de-Gosse.
Joseph Marmande, patron carrier employant 10 ouvriers, épicier et aubergiste, est en effet l'un des dirigeants du mouvement agraire du Bas-Adour. Président du syndicat des métayers de sa commune natale, il est conseiller municipal depuis son élection sur une " liste syndicaliste paysanne ". Le sous-préfet de Dax le considère comme " très influent dans les milieux syndicalistes ". Cette audience parmi les métayers se traduit par son élection au siège de conseiller d'arrondissement de Saint-Vincent-de-Tyrosse en 1919, sous l'étiquette de " socialiste unifié ", c'est-à-dire affilié à la S.F.I.O.. Cet orateur réunit les métayers-pêcheurs dans une cabane située au bord de l'Adour où les pêcheurs mettent filets et provisions. Cette cabane est appelée " Cabane des bolcheviks ".
Les luttes s'accompagnent d'un mouvement considérable de syndicalisation. D'un point de vue organisationnel, les syndicats de métayers se multiplient et se rassemblent au sein de la Fédération C.G.T. de l'Agriculture, dirigée localement entre 1920 et 1924 par l'un des organisateurs du conflit précédent, Auguste Larrouy. Selon le préfet, il y a alors 7 000 à 8 000 syndiqués dans les Landes. Quant au journal syndical Le Travailleur de la Terre, il évoque en juin 1920, un effectif de 12 000 inscrits dans les syndicats des Landes et des Basses-Pyrénées. Les syndicats paysans des deux départements, comme les syndicats ouvriers, sont en effet associés au sein de l'union C.G.T. du Bassin de l'Adour. Le dirigeant national de la C.G.T. Léon Jouhaux tient ainsi une réunion dans le village de Saint-Vincent-de-Tyrosse, au cours de l'année 1921.
Néanmoins, on assiste à un reflux et à des disparitions de syndicats au cours des années suivantes, suite au découragement des militants. Le 10 mai 1923, Auguste Larrouy ne représente que quelques organisations landaises au congrès général des métayers, organisé par la C.G.T. à Limoges. Le syndicalisme agraire landais sort fortement ébranlé de l'échec des mouvements de 1919-1920.

Si, dans un département à sensibilité radicale-socialiste, c'est la C.G.T. qui dirige la lutte paysanne d'où est largement absente la S.F.I.O. en tant que telle, la révolte métayère contribue à renforcer le mouvement socialiste. Paul Vaillant-Couturier, député socialiste de la Seine, vient ainsi assurer trois réunions dans la région en révolte, s'attirant les foudres de la C.G.T..
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