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3. L'implantation communiste dans les Landes
3.2. Le centre métallurgique du communisme landais
Conformément à sa stratégie ouvriériste, l'organisation communiste concentre ses efforts sur les Forges de l'Adour, qui connaissent alors une intense activité militante. Le centre métallurgique de Boucau-Tarnos est à la fois le creuset du mouvement ouvrier dans la région et le cœur du communisme landais. Seule entreprise de grande envergure du Sud-Ouest, les Forges deviennent un pôle d'attraction communiste, d'autant plus que les deux municipalités sont conquises à la sortie de la guerre par les syndicalistes de l'usine. Les ouvriers communistes de l'entreprise sont syndiqués à la C.G.T.U. et militent dans une cellule d'entreprise qui eut cependant une existence précaire jusqu'au début des années 1930. Cette cellule édite un journal imprimé sous l'impulsion d'Étienne Lescouttes, permanent du parti, qui est rattaché à l'usine où il a auparavant travaillé.
Les militants de la cellule des Forges de l'Adour sont affiliés dans les années 1920 au " comité d'action et d'unité prolétarien de Boucau " dirigé par Eugène Lasmaries, puis au rayon communiste de Boucau-Tarnos, sous la responsabilité de Joseph Oger jusqu'en 1926, puis d'Albert Mora et Étienne Landaboure. En 1932, le préfet des Landes remarqua à propos d'Étienne Landaboure que " son activité s'amplifie de plus en plus, et, qu'actuellement, il peut être considéré comme le principal animateur du P.C.F. à Boucau et à Tarnos ". Les cellules des usines des Pyrénées-Orientales et des Landes sont associées en novembre 1934 au sein d'un rayon Bayonne-Boucau. Deux Landais participent au secrétariat collectif de cette nouvelle structure : Eugène Lasmaries et Jean-Baptiste Lanusse, qui est ouvrier à l'usine de produits chimiques Saint-Gobain du Boucau, puis aux Forges de l'Adour avant d'être licencié lors de la grève d'août 1928.
Selon les mots d'ordres nationaux, les militants communistes mettent l'accent sur la propagande antimilitariste. Ils sensibilisent les jeunes soldats aux atrocités des guerres coloniales et mettent en garde contre une intervention contre la Russie soviétique. La boucherie de la Première Guerre mondiale hante alors tous les esprits. De manière légale, le travail antimilitariste se réalise par deux canaux. D'une part, l'organisation annuelle du " Bal des conscrits ", qui est toujours un grand succès et à l'occasion duquel un responsable communiste harangue les conscrits, en dénonçant les menaces de guerre et l'anti-soviétisme, et les appellent à défendre leurs droits à l'armée. D'autre part, la pratique du " sou du soldat ", c'est-à-dire l'envoi aussi régulier que possible d'une petite somme à ces soldats avec une lettre d'accompagnement appropriée. Pour le jeune conscrit, il est important qu'il n'y ait pas de coupure avec son milieu, et le parti tient à favoriser son lien avec sa famille et le monde ouvrier local.
Cette forme d'activité anti-militariste inquiète les autorités qui exercent une surveillance serrée. Ainsi, dans une note du Commissaire spécial de Bayonne adressée au Préfet des Landes en date du 24 mars 1930, on peut lire :
" Référence à votre note de ce jour, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai adressé à M. le Commissaire spécial à Hendaye, le 17 mars dernier, un rapport concernant les conscrits révolutionnaires incorporables du 22 au 25 avril prochain.
Ci-dessous vous voudrez bien trouver la copie de cette liste... "
(suit une liste de 14 noms)
La note se termine par les indications suivantes :
" À l'exception de Moine André, tous ces jeunes gens n'ont pas une place bien marquée au sein du Parti communiste, ni la moindre qualité de propagandiste pour les prendre au sérieux. Moine, au contraire, est une vedette des Jeunesses communistes de Boucau. Très intelligent, il est orateur et possède une éducation complète révolutionnaire. C'est un élément à surveiller "
En effet, André Moine est le leader le plus actif dans ce centre ouvrier. Fils d'un contremaître métallurgiste de sensibilité socialiste et d'une employée de bureau, il a travaillé dans le Pas-de-Calais comme ajusteur de précision et dans une entreprise d'outillage de Saint-Étienne où est délégué de la Jeunesse Communiste (J.C.) avant de rejoindre ses parents au Boucau-Tarnos. Dès son arrivée dans le département, André Moine est coopté à la direction de la Jeunesse Communiste et au bureau régional du parti, car il peut déjà se prévaloir d'une expérience militante.
En mars 1927, il est embauché aux Forges de l'Adour où travaille son père. Il est ajusteur électricien à l'entretien des moteurs et devient rapidement secrétaire adjoint du syndicat C.G.T.U., chargé des jeunes. Mais en fin d'année, il est licencié sous prétexte de compression du personnel et doit travailler deux années dans un atelier de mécanique de Bayonne, avant d'être révoqué une seconde fois à la suite d'une grève.
André Moine ne peut rester ajusteur, mais ne quitte pas le département et, membre de la direction régionale communiste, il organise de façon clandestine ou légale la propagande du parti à partir de Boucau qui devient le siège de la région du PC. Le siège, qui rayonne sur trois départements, est alors constitué d'une baraque en planches avec une pièce unique. S'il n'y a alors pas de permanent, une dactylo tape les tracts. Secrétaire régional de la Jeunesse Communiste et membre de son comité central, André Moine organise, à partir du centre ouvrier, la propagande antimilitariste dans le département : il diffuse le journal la Caserne, puis le Conscrit. En 1929, l'Internationale Communiste ayant lancé le mot d'ordre d'une grande journée de manifestation contre la guerre pour le 1er août, anniversaire du début de la Première Guerre mondiale, André Moine est chargé d'assurer cette manifestation à Dax. Il prend la parole devant très peu de monde, et est alors poursuivi par la police et se réfugie dans un bistrot. Plus tard, il assiste à une réunion dans une petite localité, Ychoux, où le Parti Communiste a une influence auprès des ouvriers d'une scierie, et parmi les métayers des alentours. Voici son récit :
" [Rospide, le représentant local du Parti] a organisé la réunion, mais pas dans une salle, à l'orée du village : à une branche basse d'un chêne-liège une lampe à acétylène, dessous une petite table sur laquelle je montai. Autour de moi, personne. Ouvriers et métayers, vingt à trente peut-être, se tenaient dans l'ombre pour ne pas être repérés par les éventuels envoyés du patron et des propriétaires qui exerçaient une véritable terreur " (André MOINE, Regards critiques et dialogues d'un communiste, Boucau : Édition de l'Étincelle - André Moine, 1986, p. 32)
À l'image d'André Moine, " responsable régional du travail paysan ", les communistes de Boucau-Tarnos viennent dans les villages pour appeler les fermiers et les métayers à s'organiser. La propagation du communisme s'effectue du centre ouvrier aux campagnes des alentours, comme l'attestent les rapports de police soulignant l'activité des militants ouvriers dans les villages. En 1927, le Docteur Depeton, de Saint-Martin-de-Hinx, propriétaire foncier, écrit au préfet :
" Un vent de fronde souffle dans la région depuis quelques mois. Les communistes de Boucau essaient de venir surexciter nos paysans… Ils sèment la mauvaise graine… Dimanche dernier, il y a eu une réunion à Saint-Marie-de-Gosse. Plusieurs de ces jeunes gens sont venus en chemise rouge, le drapeau des Soviets à leur bicyclette, jeter des tracts… "
André Moine est envoyé en 1931 à Moscou pour suivre les cours de l'École léniniste internationale sous le pseudonyme de Marcel Boulogne. Auparavant, durant l'été 1928, il a déjà effectué un séjour en U.R.S.S. dans le cadre d'une délégation de la Jeunesse Communiste. Rentré de Moscou en décembre 1932, sans travail, il est tour à tour, cantonnier, manœuvre du bâtiment et même poseur de lignes électriques. À la fin de l'année 1933, il est promu secrétaire de la Région communiste des Basses-Pyrénées.
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