La Première Guerre mondiale et ses conséquences
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4. L'essor du syndicalisme ouvrier

4.3. Les Forges de l'Adour

Depuis 1883, les Forges de l'Adour assurent l'essor des deux localités industrielles sœurs, Tarnos et Boucau. Toute la vie locale des deux cités s'organise autour du travail aux Forges, qui détermine la densité de la population et rythme les activités liées aux postes (" les trois-huit "). L'usine possède sa cité, sa chapelle, ses écoles, dispose du Boucau-Stade… Cette création urbaine et la domination patronale entraînent une homogénéité de la population, dont la cohésion est renforcée par la dureté du travail de métallurgiste qui nécessite une réalisation en équipes bien soudées. Cette symbiose sociale repose également sur l'honneur d'être ouvrier aux Forges et par les pressions qui viennent de l'extérieur. Tarnos et Boucau constituent une citadelle ouvrière dans une région restée largement rurale.
 
 

 
 

Beaucoup d'ouvriers mobilisés pendant la Première Guerre mondiale sont affectés aux Forges de l'Adour. Sous l'impulsion de Joseph Desarménien, mobilisé dans l'artillerie puis affecté au printemps 1917 dans l'usine, un syndicat est remis sur pied durant les derniers mois de la guerre, et Joseph Desarménien devient le 7 juillet 1917, secrétaire du syndicat des ouvriers métallurgistes du Boucau. Le syndicat mène avec succès, une série de mouvements revendicatifs pour l'augmentation des salaires et l'amélioration des conditions de travail, dont le point d'orgue est la grève de mai 1918, avec occupation d'usine. Le succès aidant, le syndicat du Boucau voit croître son audience et ses effectifs explosent : il revendique plus de 1 100 adhérents.


En revanche, les deux mouvements de grèves suivants, en mai et octobre-décembre 1920, fragilisent le mouvement syndical. Le premier mouvement vise à soutenir le mot d'ordre de grève générale, lancée par la C.G.T. et est surtout suivi par les cheminots. Le second conflit dure une cinquantaine de jours grâce à l'organisation de soupes populaires et à la solidarité des métayers du Bas-Adour, également en lutte contre les propriétaires. Cependant, la grève est brisée et aucune revendication n'est satisfaite. Surtout, près de 300 ouvriers sont licenciés dont tous les dirigeants syndicaux et notamment, ceux qui ont assuré le redressement du syndicat depuis la fin de la guerre (Eugène Lasmaries, Pierre Goossens, Joseph Desquerre). Cette répression correspond à la prise de conscience par les autorités de l'importance stratégique des Forges pour le mouvement ouvrier local comme l'atteste en 1921, un compte-rendu du commissaire de Bayonne au Préfet :

    " Évidemment, les propagandistes landais ont trouvé dans le syndicat des métallurgistes des Forges de l'Adour un important appui, car de tout temps ce syndicat a été considéré par la C.G.T. comme le pivot de l'organisation syndicaliste de la région ".

En 1921, le syndicat entre dans une crise très grave, résultant de l'échec de la grève d'octobre 1920, de la répression qui suivit, mais aussi de la conduite du nouveau secrétaire, Jean Carrabé. Le nombre des cotisants passe de 1 900 à 300. Dans des circonstances très difficiles, en août 1921, René Detchenique devient le secrétaire du syndicat des ouvriers métallurgistes de Boucau. Bien que de santé délicate, durant deux années il déploie une activité considérable : " agitateur et propagandiste dangereux " pour le commissaire spécial, " un pur ", estime le sous-préfet de Bayonne. Parlant de " son indomptable énergie ", Joseph Desarménien écrit : " il peut parvenir à stabiliser les effectifs, redresser le fonctionnement du syndicat, remettre de l'ordre à la boucherie syndicale ".


La scission entre socialistes et communistes touche durement le syndicat. En juin 1922, le syndicat des ouvriers métallurgistes adhère à la C.G.T.U., tandis que Joseph Desarménien prend la tête de la minorité d'ouvriers restés au sein de la C.G.T.. Épuisé, René Detchenique remet sa démission du syndicat C.G.T.U. en décembre 1923 ; quatre mois plus tard, il meurt, emporté par la tuberculose. Louis Detchenique, son frère, lui succède mais ses positions anarchistes heurtent le P.C.F. qui entend contrôler le mouvement syndical unitaire. Le syndicat des ouvriers métallurgistes de Boucau, affilié à la C.G.T.U., est alors pris en main par des militants communistes.


Le dirigeant communiste, Albert Mora, dirigea le syndicat avec d'anciens syndicalistes de la C.G.T. qui viennent d'adhérer au P.C.F.. Albert Castets et Jean-Baptiste Lanusse sont par exemple des militants syndicalistes depuis 1909. Trois autres militant communistes prennent ensuite la tête du syndicat qu'ils vont pour la première fois, depuis l'échec des grèves de 1920, remettre sur pied : sous la direction de Georges Lassalle (mouleur), d'Étienne Lescouttes (tourneur) et d'Étienne Landaboure (électricien), le syndicat retrouve puissance et audience. Il regroupe plus de 1 000 cotisants sur les 1 600 ouvriers de l'entreprise.


Avec l'orientation communiste du syndicat et la hausse de ses effectifs, de nouveaux conflits sociaux éclatent à la fin des années 1920, sous l'impulsion des unitaires qui se font alors renvoyer de l'usine. À l'occasion de la grève perlée d'août 1928, Jean-Baptiste Lanusse est ainsi licencié des Forges et la direction des Forges de l'Adour renvoie Georges Lassalle, pour faits de grève l'année suivante. En outre, Étienne Landaboure quitte l'entreprise, après un grave accident du travail en 1928.


En mai-juin 1930, une puissante et spectaculaire grève paralyse les Forges pendant plus d'un mois. Ce mouvement massif et très dur a une résonance nationale. 1 500 ouvriers des Forges entrent en grève pour de meilleurs salaires et conditions de travail. La grève dure 45 jours, durant lesquels les métayers du Bas Adour landais collectent pommes de terre, haricots et viande qu'ils apportent au comité de grève. La grève commence avec l'occupation de l'usine, l'une des premières de France. Suivant des méthodes anarcho-syndicalistes, le déclenchement du mouvement est brutal : quelques dirigeants coupent le courant de la centrale électrique, détériorant certaines machines. Après une évacuation de l'usine par la force, le conflit se poursuit par de solides piquets de grève et de nombreuses bagarres avec les gardes mobiles, au regard desquels il faut se dissimuler pour tenir des réunions.


Quand la grève commence à s'effilocher, d'autres procédés sont utilisés comme l'intimidation en tirant des coups de revolver sur l'habitation d'un ingénieur, ou le sabotage en faisant sauter une ligne électrique alimentant l'usine. Les ouvriers pensent que la direction va céder, car l'expérience montre qu'un haut fourneau qui se refroidit trop, est perdu. Or, non seulement les progrès de la technique protègent les hauts fourneaux, mais en outre, les ingénieurs font percer un trou dans les hauts fourneaux et réussissent à entretenir le feu avec des injections d'oxygène.


Le conflit entraîne l'intervention de la police et se termine par un échec : outre une centaine de licenciements d'ouvriers essentiellement communistes, 12 travailleurs sont condamnés à faire de la prison et les maires de Boucau et Tarnos sont révoqués. Pour empêcher les manifestations, l'état de siège est proclamé, en dépit des protestations des commerçants, solidaires des métallurgistes : durant plusieurs semaines, les rassemblements de plus de 3 personnes sont interdits et les deux cités de Tarnos et Boucau sont occupées par 800 gardes mobiles ou gendarmes.


Les unitaires qui ont animé le comité de grève, Charles Hours, Maurice Perse, Albert Mora, Eugène Lasmaries (de retour dans l'usine après avoir été licencié en 1920) et Albert Castets sont renvoyés de l'usine. Le premier, Charles Hours, est " condamné pour actes de sabotage et entraves à la liberté du travail " à un an de prison et deux ans d'interdiction de séjour (pour cette dernière peine, il bénéficie de l'amnistie) ; il s'occupe alors de la boucherie syndicale. Le second, Maurice Perse, maire de Boucau, est condamné par le tribunal de Bayonne à deux mois de prison " pour entraves à la liberté du travail et provocation de militaires à la désobéissance " ; il devient alors marchand de charbon. Le troisième, Albert Mora, se fait représentant de commerce. Le mouvement syndical des Forges est à nouveau décapité pour un temps long, car il faudra attendre 1936 et le Front Populaire pour que se reconstitue un syndicat.


La grève de 1930 accélère la modernisation et la mécanisation de l'usine, notamment du laminoir (" train à rail ") d'où sortent les rails de chemin de fer. Jusqu'ici, le bloc d'acier chauffé à blanc, sortant des fours, est manipulé à la main à l'aide d'immenses crochets. Il s'agissait d'un travail dur, éprouvant, épuisant, dangereux, qui exigeait une grande cohésion d'équipe. Après la grève, le train est entièrement automatisé et dès lors, quelques ouvriers seulement contrôlent le passage au laminoir. Au meilleur rendement économique, s'ajoute pour la direction une division sociale des ouvriers, défavorable à l'esprit de solidarité ouvrière.


Au début des années 1930, une autre vague de licenciement, cette fois-ci économique, touche les militants syndicalistes de la C.G.T.U.. Lors de la dépression de 1933-1934, le chômage touche en effet prioritairement les unitaires : François Albor est, à cette occasion, renvoyé de l'usine. Néanmoins, le chômage est également vecteur de la mobilisation ouvrière : le 4 février 1932, une manifestation de 200 chômeurs locaux se déroule à Tarnos et Boucau au cri de " Du travail ! Du pain ! ". D'autre part, l'échec de la grève n'empêche pas le soutien aux militants communistes lors des élections municipales de 1935 à Tarnos et Boucau. Malgré l'échec du conflit syndical de 1930, la population ouvrière locale soutient politiquement les équipes municipales communistes.
 
 

 



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