|
Home > La première guerre et ses conséquences (1914-1934) > L'essor du syndicalisme ouvrier > La grève des cheminots
4. L'essor du syndicalisme ouvrier
4.1. La grève des cheminots
Le malaise social, moins contenu depuis l'arrêt de la guerre, s'exprime dès janvier 1919, par des grèves dans les transports publics et dans les chemins de fer, qui secouent l'ensemble du pays. Les conflits sont impulsés par les militants de la fraction de gauche de la C.G.T. qui, à partir de février 1920, s'organisent au sein de comités syndicalistes qui soutiennent la prise du pouvoir par les Bolcheviks en Russie.
Dans ce contexte d'effervescence politique et de difficultés sociales, les mouvements sociaux se multiplient dans les milieux ouvriers landais et, comme au plan national, les cheminots sont à la pointe de la contestation. Pourtant au début de l'année 1919, un seul syndicat de cheminots, celui de Dax, est recensé : il est plus précisément localisé à Saint-Paul-lès-Dax, où est situé le dépôt des machines de Dax. Forte d'une tradition ouvrière avec les Forges de l'Abesse, cette commune est marquée par une importante implantation socialiste d'origine guesdiste.
Le 20 mars 1919, un autre syndicat est créé à Mont-de-Marsan, puis les cheminots de Morcenx se dotent à leur tour d'une organisation syndicale.
Au cours de l'année 1919, l'agitation est diffuse chez les cheminots avec notamment l'affaire Lucien Midol, en janvier : pour avoir fait arrêter les trains du Compagnie du PLM (Paris-Lyon-Marseille) pendant une minute, le leader de la fédération syndicale C.G.T. des chemins de fer est incarcéré et condamné. Utilisant les mouvements revendicatifs partis de la base sur des problèmes de travail et de salaire, les comités syndicalistes-révolutionnaires organisent alors, dans les chemins de fer d'abord, puis dans d'autres branches ensuite, des grèves révolutionnaires.
Au début de l'année 1920, les trois syndicats landais de Dax, Morcenx et Mont-de-Marsan se déclarent prêts à faire grève sur ordre de la fédération syndicale C.G.T. des chemins de fer, au sujet de revendications de salaires, d'indemnité de résidence et de nationalisation. Suivant les mots d'ordre nationaux de la C.G.T., ils entrent en action en février, puis à nouveau en mai. Les conflits affectent essentiellement la Compagnie du Midi qui emploie alors 1 008 personnes dans le département, et accessoirement quelques lignes secondaires.
 La première grève dure trois jours (29 février, 1er et 2 mars 1920) et est générale sur le réseau du Midi. Elle entraîne une réaction violente du gouvernement : le préfet ordonne le retrait des troupes envoyées dans le Bas-Adour pour contenir la contestation des métayers en lutte depuis novembre 1919 contre les propriétaires, et leur installation à Tarbes et Mont-de-Marsan. La vente des armes et des munitions est également suspendue. Ce premier conflit se termine grâce à une entrevue quasi-clandestine de la Fédération des Cheminots et du Ministre des Travaux Publics.
La C.G.T. relance le mouvement avec le mot d'ordre mobilisateur de " nationalisation des transports par voie ferrée " : le 1er mai, la grève générale est proclamée. L'appel syndical est essentiellement suivi par les cheminots. Les autorités préfectorales mettent alors en place un plan de protection des voies ferrées : le département est divisé en secteurs ayant à leur tête, un commissaire spécial ou un commissaire de police ; des patrouilles mobiles surveillent le long des voies, et des barrages sont établis aux entrées et sorties de ponts. Le 5 mai, le sous-préfet de Dax dresse une liste des " individus " dangereux ou suspects, c'est-à-dire socialistes ou sympathisants socialistes :
" Clarac, visiteur à la Cie du Midi à Saint-Paul-lès-Dax
Damet, serre-frein à la Cie du Midi à Saint-Paul-lès-Dax
Bienade, employé de commerce chez M. Sentoux à Dax
Darracq, tailleur de pierre à Dax
Larrouy, métayer à Pey
Marmande, aubergiste et carrier à Sainte-Marie-de-Gosse, maire et conseiller d'arrondissement
Raciet François, ouvrier aux Forges de Tarnos
Sourbé Gérôme, résinier à Castets
Viro, Italien, ouvrier aux Forges de Tarnos "
Dans la compagnie du Midi, du 1er au 16 mai, au moins 336 grévistes sont recensés, principalement dans les dépôts importants de Morcenx, Saint-Paul-lès-Dax, Saint-Vincent-de-Tyrosse et Mont-de-Marsan. Outre les cheminots de la ligne Luxey - Mont-de-Marsan qui font une semaine de grève pour soutenir leurs collègues du Midi, 1 930 ouvriers métallurgistes des Forges de l'Adour ainsi que 200 dockers et 55 cimentiers, qui travaillent pour ces forges, se mettent en grève à partir du 1er mai.
Le 16 mai, le préfet intime aux Espagnols employés aux Forges de l'Adour de reprendre le travail sous peine d'expulsion. Le lendemain, quatre Espagnols sont expulsés, mais il reste encore 1 900 grévistes aux Forges. Le préfet ordonne l'expulsion d'un des meneurs, le syndicaliste Alexandre Viro le 19 mai. Le 20 mai, alors que 330 cheminots sont toujours en grève, une perquisition a lieu au domicile du secrétaire du syndicat des cheminots de Mont-de-Marsan (Villa), où l'on trouva parmi des documents syndicaux, l'ordre du jour du congrès de Tarbes qu'il a contresigné, et qui constitue une preuve que la grève des cheminots a été déclenchée dans " un but nettement révolutionnaire ".
Le 1er juin, le Ministre annonce la fin de la grève mais dans les Landes, 1 900 métallurgistes des Forges de l'Adour et 50 cimentiers sont toujours en grève. Face à la menace d'une fermeture de l'usine, menace brandie par la direction des Forges si la grève continue, le jeudi 3 juin, les ouvriers reprennent le travail, en n'ayant rien revendiqué et en ayant perdu un mois de salaire. Les cheminots landais du Midi, dont environ 35 % ont participé au mouvement, n'ont rien obtenu non plus et sont frappés par de nombreuses sanctions. Une trentaine de cheminots sont révoqués et autant, licenciés sans commission. D'autres encore sont blâmés, privés de gratification et pénalisés de 12 mois de retard d'avancement, en raison de leur absence irrégulière pendant un mois. Tous les grévistes sont ainsi sanctionnés. Au plan national, outre l'arrestation du leader syndical Gaston Monmousseau, 22 000 cheminots sont au total licenciés. Certains seront réintégrés avec la victoire du Cartel des gauches en 1924 et d'autres, comme Clarac de Dax, devront attendre 1936 et le Front Populaire.
La grève suivie pendant un mois sans aucun bénéfice eut d'importantes conséquences syndicales ; les syndicats cheminots entrent dans une période difficile de reflux : 100 des 150 syndiqués de Mont-de-Marsan quittent le syndicat et à Dax, il reste 55 syndiqués sur 200. Au total, demeurent dans les structures syndicales landaises, 350 cheminots sur 520 avant la guerre. Et la plupart ne paient plus leur cotisation. En prolongeant la dure grève métayère du Bas-Adour et celle des résiniers du Marensin, les cheminots ont cependant montré que les Landes ne sont plus un département " tranquille ". L'usage de la grève exprime le changement des mentalités sociales.
|
|