Les débuts du mouvement social
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3. Le mouvement paysan

3.4. Le rapprochement entre syndicalistes et socialistes

Malgré son échec, le mouvement de 1906-1907 constitue un premier apprentissage de la lutte pour les ouvriers résiniers qui comprennent la nécessité de renforcer l'organisation syndicale, source de force face aux propriétaires. Les leaders des grèves prennent en charge le syndicat dans leurs localités où ils bénéficient d'une grande popularité. Ainsi, Etienne Darrigade devient secrétaire du syndicat des résiniers de Vielle-Saint-Girons et entre au conseil municipal en mai 1908. Le 6 décembre 1907, le deuxième congrès de la fédération des syndicats de fermiers, métayers, résiniers et parties similaires se déroule à Morcenx. Ernest Ducamin y milite à nouveau contre l'affiliation à la C.G.T. qui est rejetée; mais l'idée progresse, car lors du vote, les délégués sont pour moitié favorable à l'affiliation. A ce congrès, la fédération se dote d'un trésorier, Paul Pinsolle, dont le sérieux lui vaut de garder ce poste jusqu'à la guerre, malgré les nombreux changements internes, et alors même qu'il est socialiste. Il est même à plusieurs reprises reconduit à l'unanimité dans ces fonctions.


Avec la diminution du cours de la gemme qui élude la question de l'augmentation de la part des gemmeurs, l'année 1908 est socialement plus calme. En novembre, les contrats de travail entre propriétaires et résiniers doivent être renouvelés, mais la colère du prolétariat rural landais éclate à nouveau, aidée par les socialistes. Ces derniers poussent à la grève, en espérant que dans la perspective des élections il sera aisément cédé aux revendications ouvrières. Mais la mobilisation ne prend pas et le courant modéré semble l'avoir emporté au sein de la fédération. En effet, lors du troisième congrès qui se tient en décembre 1908 à Morcenx, la question de l'affiliation à la C.G.T. n'est plus posée. 24 syndicats représentant 4 110 gemmeurs résiniers ainsi que 2 syndicats non-résiniers (Saint-Martin-de-Seignanx et Pomarez, ce dernier comprenant majoritairement des métayers agricoles) y envoient des délégués.


Lors de ce congrès, le journal La Terre devient l'organe officiel de la fédération des résiniers des Landes et prend alors le titre de La Terre landaise, malgré les syndicalistes de tendance socialiste qui s'y opposent. Ce bimensuel, qui passe ensuite à une diffusion hebdomadaire, est en effet contrôlé par Ernest Ducamin qui a acheté le 30 août 1908 ce journal fondé au mois de février 1907 par son ami Jean Vesone. Après le rachat, Ernest Ducamin devient co-directeur du journal au tirage de 3 000 exemplaires. Dans ses colonnes, Ernest Ducamin préconise un socialisme qui ne soit pas " étroit, sectaire, idiot ", mais " large et généreux ", en fait très hostile à la C.G.T. comme à la S.F.I.O.. " Nous voulons ignorer s'il y a plusieurs classes dans la République ", écrit-il le 8 novembre 1908. Lorsque la C.G.T. le soupçonn de contribuer à la formation de syndicats mixtes unissant les patrons et les ouvriers, le 20 décembre 1908, il s'en défend du bout des lèvres :

    " À nous, ouvriers, de faire comprendre à nos frères les beautés de l'union ; aux bons propriétaires de faire comprendre aux mauvais qu'ils vont contre leurs intérêts en cherchant à affoler ceux qui leur assurent la fortune et les avantages. Et quand les mauvais propriétaires seront convaincus, quand ils viendront franchement, loyalement à nous, alors, mais alors seulement, nous causerons des syndicats mixtes ".


A l'issu du congrès, Etienne Darrigade est élu secrétaire adjoint de la fédération toujours dirigée par Ernest Ducamin. Entré en février 1908 au journal comme " directeur syndicaliste ", Etienne Darrigade y fait l'éloge du socialiste de gouvernement, Alexandre Millerand, et préconise un socialisme " sans lutte de classes ". Cette orientation réformiste écarte la plupart des militants socialistes des postes dirigeants de l'organisation syndicale, occupés par des hommes plutôt proches des radicaux. Par exemple, Gérôme Sourbé de Castets-des-Landes, cesse d'appartenir au comité exécutif.


Durant l'année 1909, le cours de la gemme ayant, à nouveau, augmenté et Ernest Ducamin étant décidé à enclencher un nouveau mouvement, des troubles éclatent. Commencé au début de la campagne dans la région de Soustons, le mouvement atteint son paroxysme en avril et embrase tout le Marensin et le sud du pays de Born. Malgré la mobilisation, les quelques acquis obtenus par endroits sont maigres et l'issue de la grève est désastreuse. Pour en finir avec les grèves violentes et dangereuses pour les grands propriétaires qui agitent le pays landais depuis 1906, la répression est forte. De nombreux résiniers du Marensin sont inculpés devant la cour d'assises des Landes où certains sont défendus par le démocrate-chrétien, Joseph Defos du Rau.


La répression touche le secrétaire adjoint de la fédération. Accusé d'incendie volontaire pendant les grèves d'avril 1909, Etienne Darrigade est condamné le 10 juillet 1909 par la cour d'assises de Mont-de-Marsan à cinq ans de réclusion. La composition sociale du jury est aussitôt mise en cause à la fois par la fédération des résiniers et par les députés radicaux-socialistes des Landes et des départements voisins. En février 1911, la peine d'Etienne Darrigade est réduite à deux ans, puis, en avril, il est gracié. Il renonce dès lors à la vie militante.


Au sein de la fédération des résiniers, la direction majoritaire apolitique est remise en cause : la pression des militants prônant une affiliation à la Confédération Générale du Travail (C.G.T.) et reprochant à Ernest Ducamin de contribuer à la formation des syndicats mixtes se fait plus forte. En raison de ses ambitions politiques, Ernest Ducamin, qui a l'espoir de se présenter aux législatives de 1910, est attaqué très durement par les dirigeants paysans de la C.G.T.. En janvier 1909, leur organe, le Travailleur de la Terre, écrit à propos d'Ernest Ducamin :

    " Le citoyen est déjà conseiller d'arrondissement et doit poser sa candidature aux prochaines élections législatives. Et alors, comme il est de mise dans la région de dauber sur la C.G.T., d'insulter et de calomnier abominablement les militants syndicaux, il est de toute évidence que l'adhésion de la fédération des résiniers à la C.G.T. mettrait le secrétaire général en mauvaise posture politique ".


Lors du quatrième congrès des résiniers tenu à Rion-des-Landes en décembre 1909, Ernest Ducamin, dont le prestige est amoindri après l'échec des grèves d'avril 1909 et la révélation de son arrangement électoral au profit de la candidature radicale-socialiste, perd à la fois son poste de secrétaire syndical de la Fédération des syndicats de fermiers, métayers, résiniers et parties similaires acquis lors de sa fondation, et la direction du journal Terres Landaises. Un ami du fondateur de la fédération, le radical Marbat, est le nouveau responsable de l'organisation syndicale.


Les efforts de la fédération S.F.I.O. et de son premier responsable, Jacques Lamaison, pour implanter le socialisme dans le mouvement syndical landais et, en particulier, chez les ouvriers et métayers résiniers commencent à porter leurs fruits. Jacques Lamaison prend part en personne à l'action et, par exemple, à Soustons, pendant la grève des résiniers de janvier-février 1909, se rend selon les autorités préfectorales " à la réunion tenue chez le président du syndicat, à la tête des grévistes, suivant immédiatement les drapeaux rouges ". Le dirigeant départemental de la S.F.I.O. publie en 1909 pour la fédération socialiste une brochure, Le Collectivisme au pays de la résine, qui a un important retentissement. Il s'agit d'un appel aux producteurs de la zone forestière (petits propriétaires, métayers, fermiers, ouvriers agricoles et autres) et d'une incitation à politiser le mouvement initié par les grèves de 1907. La préface de la brochure est signée par le spécialiste socialiste de la question paysanne, Compère-Morel. Quelques temps avant la parution, les propriétaires font publier une autre brochure, Socialisme et métayage, qui dénonce les " dangers du socialisme ". Elle fait surtout référence aux agitations qui secouent alors la Chalosse, zone de métayage agricole où le problème est celui des redevances et des corvées.


Dès le 8 octobre 1907, la Fédération des syndicats résiniers est représentée, au cours d'un comité fédéral de la S.F.I.O., par Louis Duclos, Gérôme Sourbé et Berque. En novembre 1908, Nadi, délégué permanent de la S.F.I.O. et Jacques Lamaison parcourent toutes les communes de la région de Soustons et de Saint-Vincent, alors que la situation sociale se tend. Lorsqu'une grève est déclenchée, Jacques Lamaison se met à la disposition des militants et des grévistes, et fait des réunions publiques. Le travail socialiste commence à porter ses fruits lors du cinquième congrès, qui a lieu les 23 et 24 décembre 1910 à Mimizan; l'affiliation à la C.G.T. est repoussée plus faiblement : 7 voix pour, 9 voix contre et 6 abstentions. C'est surtout au sixième congrès, en décembre 1911, que l'influence de la S.F.I.O. sur le mouvement syndical des résiniers prend toute son ampleur : la fédération syndicale modifie ses statuts de manière à se transformer en Fédération nationale des ouvriers, fermiers et métayers gemmeurs de France, dont les syndiqués des Landes constituent le noyau initial et principal. Le militant socialiste, Gérôme Sourbé, est élu secrétaire général et de nombreux leaders de la S.F.I.O. (Jean Lamarque, Henry Dupouy) entrent dans l'instance dirigeante de la fédération qui accueille donc plus largement les militants de gauche.


C'est la victoire du socialisme dans une organisation syndicale contrôlée depuis sa naissance par des hommes politiques aux options diverses. Devenue possible, l'adhésion de la fédération à la C.G.T. est acceptée par le septième congrès de décembre 1912. C'est également en 1912 que la fédération des résiniers et la fédération socialiste lancent le journal L'Avenir social, organe à la fois politique et corporatif. La direction du journal est assurée à parité par les socialistes et les syndicalistes. Le trésorier de la fédération des syndicats gemmeurs, Paul Pinsolle, l'un des rares militants socialistes appartenant à la direction du syndicat depuis 1907, est membre de la commission d'administration et de rédaction du journal. Il est rejoint en décembre 1913 par Jean Lamarque.


L'année 1910 est socialement calme. En 1911 et 1912, quelques grèves sporadiques ont lieu, mais elles sont plutôt défensives, alors que le cours de la gemme est au plus haut. Des syndicats continuent cependant de se créer. Ainsi le métayer François Sentuc met sur pied un syndicat à Ygos en novembre 1911, qui regroupe rapidement plus de 200 adhérents. A cette date, à Sainte-Eulalie-en-Born, on compte 80 syndiqués. A la veille de la Première Guerre Mondiale, la fédération des gemmeurs revendique 2 000 adhérents.
 
 

 



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