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3. Le mouvement paysan
3.3. Les luttes des ouvriers résiniers (1906-1907)
Au début du vingtième siècle, le cours de la gemme augmente fortement et les propriétaires tentent de profiter de cette augmentation, en maintenant le même salaire pour les gemmeurs. Le problème du partage de la récolte des résineux est alors au cœur de la mobilisation des syndicats qui déclenchent des grèves en 1906 et surtout, au printemps 1907. Les gemmeurs du Marensin étaient à la pointe du mouvement, car ils réclament le même traitement que ceux de la Grande Lande, pour qui le prix de la récolte est depuis longtemps partagé à moitié. La lutte sur le partage du revenu de la gemme s'accompagne également de revendications sur les conditions du métayage.
 Durant l'année 1906, deux grandes vagues de grèves secouent les Landes. La première, en mars-avril, touche les régions de Linxe, Lesperon, Moliets-et-Maa. La deuxième, en mai-juin, s'étende aux régions de Capbreton, Castets, Levignacq, Mézos, Mimizan, Seignosse, Soorts et Soustons. Les résultats vont de la réussite à l'échec. La plus importante grève est celle de Lesperon qui éclate le 5 juin 1906 après la réunion de quelques métayers inculpés et condamnés à 6 mois de prison avec sursis. Ils sont en lutte contre les propriétaires du village qui veulent augmenter les fermages et menacent de vendre leurs pins, si les ouvriers formulent des revendications exagérées. Il y a alors 214 membres au syndicat de Lesperon qui est soutenu lors de ce conflit par celui de Castets, qui organise de grandes manifestations de solidarité.
Document : Revendication des métayers de Rion (1907)
 Les conflits se poursuivent l'année suivante. A la mi-février 1907, Sainte-Eulalie-en-Born connait quatre jours de grève générale : 3 000 hectares de pignadas sont désertés. Dirigée contre les adjudicataires des forêts domaniales, cette grève est assortie d'une grève scolaire, les enfants n'étant plus envoyés à l'école, manière d'alerter la République. Mené par Louis Duclos, ce mouvement est quotidiennement accompagné de manifestations, drapeau rouge et clairon en tête, et d'actions symboliques comme le blocage des routes. A partir de Sainte-Eulalie-en-Born, le conflit, appuyé par des problèmes touchant à la réglementation du travail, s'étend à d'autres communes et dure jusqu'au mois de mai. Les contestataires sont rejoints par les gemmeurs de Gastes et Mimizan, et, entre grèves tournantes et reprises temporaires du travail, le mouvement dure plus de quatre mois. De février à avril 1907, dans la commune de Lit-et-Mixe une grève est menée contre les propriétaires d'exploitations et plusieurs affrontements avec la police éclatent tandis qu'à Saint-Julien-en-Born, un conflit oppose les gemmeurs aux adjudicataires des résines domaniales. La violence est surtout présente à Beylongue où, en mars, une grève d'un mois se transforme en véritable " guerre civile " : les propriétaires sont menacés de mort et retenus prisonniers chez eux, les résiniers brisent les pots.
Au cours de ce vaste mouvement, les gemmeurs prennent définitivement possession de la rue, ils quittent leur espace naturel pour conquérir celui des bourgs et des villes, manière de transgresser l'ordre social. La tactique de la grève tournante (20 gemmeurs en grève, selon une liste pré-établie) déroute les autorités et les empêche d'avoir une prise sur le mouvement. A cette époque, la France est en pleine période de réflexion sur les manières d'encadrer et de réglementer les défilés et autres rassemblements de masse, alors que plusieurs mouvements de protestation en 1906-1907 (Langres, Raon-l'Etape et surtout Narbonne et Perpignan avec la révolte des viticulteurs du Midi) voient les soldats, dépêchés pour réprimer les troubles, refuser d'intervenir, voire se mutiner ou se rallier aux insurgés.
 Les conflits landais sont massifs et très violents : les grèves syndicales débouchent sur des affrontements. A Lit-et-Mixe, Etienne Darrigade, qui est gemmeur à Vielle-Saint-Girons et officier de réserve, organise quasi-militairement avec Ernest Ducamin, président du syndicat, les ouvriers en grève. Chaque groupe de grévistes est encadré par un gradé et Ernest Ducamin, lui-même, porte les galons de capitaine. Les résiniers de Sainte-Eulalie-en-Born, cœur du mouvement de 1907, sont les plus violents. Un guet-apens est notamment tendu aux gendarmes. Les communes de Mimizan et Gastes, ainsi que Vielle-Saint-Girons et Laluque, s'associent au mouvement qui s'étend jusque dans le village de Rion-des-Landes, plus à l'intérieur des terres.
Carte des grèves des gemmeurs en 1907
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Au total, le mouvement de grève dure 134 jours. A Lit-et-Mixe, le conflit de 40 jours est marqué par l'attitude trouble d'Ernest Ducamin. Arrêté le 29 mars 1907, au cours d'une bagarre, il est traité comme un malfaiteur et enchaîné pour son transfert à pied à la prison de Dax. Traduit devant la cour d'assises des Landes et condamné à un an de prison, il est finalement mis en liberté provisoire après quinze jours de captivité, grâce à ses appuis politiques personnels, en particulier celui du maire de Lit-et-Mixe. A sa libération, il est accueilli avec enthousiasme par toute la population : selon les autorités " M. Crouzet, maire réactionnaire de Lit-et-Mixe, et fondateur du premier syndicat de résiniers dans les Landes, avait envoyé sa voiture à la gare pour prendre Ducamin ".
Ernest Ducamin se met alors au service de l'administration et des grands propriétaires, effrayés par l'ampleur que prend le mouvement. Il les aide à briser la grève, en faisant voter la reprise du travail, grâce à son autorité. Selon le procureur de la République de Dax :
" Ducamin a tenu la promesse qu'il m'avait faite au moment de son élargissement et n'a pas ménagé ses efforts pour amener les résiniers à renoncer à leurs prétentions. Ce n'est pas sans peine, paraît-il, qu'il est arrivé à ce résultat, car dimanche, dans une réunion tenue par les grévistes, la continuation de la grève avait été décidée. Ce n'est qu'hier, sur nouvelle intervention de Ducamin, qu'à la surprise générale, les résiniers se sont décidés à reprendre le travail sans conditions et à exécuter le contrat qui les liait aux propriétaires ".
En juillet 1907, Ernest Ducamin est élu conseiller pour l'arrondissement de Castets, au troisième tour avec 103 voix de majorité. Sa condamnation à un an de prison sans sursis, le 6 janvier 1908, par la cour d'assises des Landes, pour l'affaire de mars 1907 le prive de son siège et de son grade militaire, mais non de sa popularité : quoiqu'inéligible, il obtient 1 179 voix en février 1908. Amnistié, il rentre à Lit-et-Mixe en avril. En mai, il est élu conseiller municipal en tête de la liste du maire sortant, Crouzet. Le 12 juillet, l'élection de février ayant été annulée, il est réélu conseiller d'arrondissement avec 1 397 voix contre 1 079 au candidat radical.
Un autre meneur, Louis Duclos, ne bénéficie pas des mêmes appuis. Reconnu coupable dans l'affaire du guet-apens tendu aux gendarmes par les grévistes de Sainte-Eulalie-en-Born, il est condamné d'abord le 15 mars 1907 à dix jours de prison, puis, en appel, le 1er mai, à deux mois sans sursis pour rébellion envers les gendarmes. Le 12 juin, le tribunal correctionnel de Mont-de-Marsan le condamne, pour " violences à gendarmes " cette fois, à quatre mois fermes. Cette peine est confondue avec la première et il est libéré le 10 octobre. Ne pouvant plus trouver de travail dans les Landes, il part pour Paris. Un autre leader du mouvement, Darmailleny, ouvrier résinier de Lit-et-Mixe, est arrêté le 29 mars, au cours d'une manifestation mouvementée, pour " violences envers la gendarmerie " et condamné le 18 avril à un mois de prison.
Les résiniers proposent comme solution au conflit de mettre la forêt en régie mais l'issue du mouvement est un échec pour ses protagonistes. Après les conflits de 1906 et 1907, la situation des ouvriers résiniers reste très difficile, même si les salaires augmentent d'environ 30 %. Lorsqu'en juillet 1908, le leader socialiste Marcel Cachin effectue une tournée de propagande dans les pays résiniers, il est frappé par la pauvreté et l'oppression subie par les métayers, qui, parce qu'ils ont des dettes à l'égard de leur propriétaire, ne peuvent pas protester. En général, l'ouvrier a la moitié du prix de la revente, si la barrique vaut 60 francs, constate le dirigeant de la S.F.I.O..
Document : Accord du 23 mars 1907 entre les délégués résiniers et des propriétaires de Rion-des-Landes
Après les conflits, la fédération syndicale se renforce : à titre d'exemple, le syndicat de Mimizan compte en 1908, 150 membres. Néanmoins, il y a à cette date, plus de syndicats mixtes associant patrons et ouvriers que de syndicats rouges. Les propriétaires tentient de parer au soulèvement des métayers en les intégrant à ces syndicats mixtes, mais également en fondant des clubs de rugby dans les zones sensibles (à Soustons en 1906 et à Lesperon en 1913), afin d'y apaiser les tensions.
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