Les Landes au rythme de la France du XIXe siècle
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1. L'invention des Landes modernes

1.3. Premières luttes

1.3.1. Fièvres et révoltes   

Au cours du XIXe siècle et au fil de l'évolution économique et sociale de la France et du département, les mouvements populaires connaissent une évolution sensibles. Dans les premières années du siècles, les Landes ne sont encore agitées que d'épisodiques fièvres, à l'image de celles qui touchent alors régulièrement l'ensemble des campagnes françaises. Ces soulèvement populaires tiennent à la précarité de la vie rurale et à la fragilité de son équilibre. Exacerbées par les difficultés récurrentes de la vie paysanne, comme de mauvaises récoltes ou des difficultés économiques plus larges, les tensions de la société rurale explosent lors de révoltes parfois violentes mais toujours limitées dans le temps et dans l'espace. La grande majorité des désordres sont ainsi liés aux conditions des contrats de métayage ou de fermage.


Ainsi, le 23 mars 1830, pasteurs et gemmeurs d'Escource marchent de concert vers la forge de Pontenx-les-Forges, exploitée par la Compagnie des Landes, pour réclamer de meilleures conditions de partage de la récolte. Plusieurs d'entre eux seront arrêtés et condamnés à Mont-de-Marsan à deux mois de prison, assortis d'une amende. A la même époque, cette fois dans le pays de Born, à Sainte-Eulalie-en-Born, des laboureurs se soulèvent également. Leur mouvement ne sera que de courte durée reste infructueux. Trois paysans sont toutefois condamnés à plusieurs mois de prison.


A côté de ces formes traditionnelles de révolte, les Landes révèlent une spécificité liée au gemmage, spécificité qui préfigure à plus d'un titre les évolutions du mouvement social landais au XXe siècle. Le gemmage est déjà implanté dans la région avant son essor dans la seconde moitié du XIXe siècle et l'organisation sociale de cette production est déjà la même que celle qui s'impose alors. Ainsi, un certains nombre de mouvements revendicatifs de métayers-gemmeurs se développent dès les années 1830, ces derniers tentant notamment d'améliorer les conditions du partage de la récolte de la gemme.


En 1836, plusieurs communes du Marensin connaissent ainsi des troubles menés par les gemmeurs. Dans cette région des Landes, ces derniers touchent en effet une somme fixe par barrique de gemme et non une part du fruit de la vente ; or, si le prix de la barrique a connu en vingt ans une augmentation de plus de 100%, leurs revenus sont restés inchangés. A Lesperon, ont ainsi lieu les 21 et 28 février 1836 des rassemblements de gemmeurs réclamant une meilleure redistribution de la vente des récoltes. Quelques semaines plus tard, des affiches menaçant de mort certains propriétaires sont placardées dans toutes les communes voisines et, le 20 mars 1836, le maire de Lévignacq fait appel à des renforts de gendarmerie pour empêcher le déroulement d'une importante réunion de gemmeurs, dans une auberge de la commune. Deux " meneurs " sont arrêtés, mais les gemmeurs marchent aussitôt sur la prison et les libérènt. Le mouvement prend fin mais c'est là un sérieux avertissement lancé aux propriétaires. Une paix relative se maintient pourtant pendant une douzaine d'années, jusqu'au mois de mars 1848.


A cette époque, des troubles sont en effet causé par les gemmeurs en différents endroits du département, le 23 mars 1848, à Escource et à Sabres, le 25 mars 1848 à Sainte-Eulalie-en-Born. Une fois de plus, la question de la part des métayers dans la vente de la gemme est encore au cœur des désordres. Il est surtout intéressant de noter que ce mouvement se déroule dans une période troublée pour l'ensemble du pays. Alors que la Monarchie a prit fin le 24 février avec l'abdication de Louis-Philippe et que la Seconde République n'a pas encore été officiellement proclamée, un vaste mouvement populaire se développe à Paris mais aussi, dans tout le pays et notamment, dans certaines campagnes. Les troubles de Sainte-Eulalie-en-Born, en particulier, semblent revetir une très forte connotation républicaine, liée aux événements parisiens. Il est ainsi intéressant de noter qu'en ce milieu du XIXe, les Landais, et parmi eux tout particulièrement les gemmeurs, lient un peu plus leur destin à celui de l'ensemble du pays.


Ces mouvements de 1848, et dans une moindre mesure ceux de 1836, viennent souligner la rapidité de la mobilisation des métayers-gemmeurs et de la diffusion de leurs revendications dans un espace encore largement morcelé. Ceci tient sans aucun doute à la capacité à la fois intégratrice et unificatrice du système sylvicole. Unis par un ensemble d'expériences quotidiennes communes, mais surtout, par un même rapport aux propriétaires, les gemmeurs se regroupent rapidement autour de mêmes revendications ou dans un même mouvement de révolte, et s'ouvrent d'autant plus facilement au destin politique de l'ensemble du pays. En s'imposant sur une grande partie du territoire landais, le système sylvicole ne fait que renforcer ce mouvement et donc, le sentiment des métayers d'appartenir à un même groupe social.


Toutefois, en 1848, cette évolution est loin d'être achevée. Si une certaine ébullition à coloration républicaine s'empare de quelques communes, les Landais, comme bon nombre de Français d'ailleurs, restent encore étrangers au destin politique de la France pendant les quelques années de la Seconde République. Ainsi, lors des élections présidentielles de décembre 1848, ils cédent massivement à la légende napoléonienne et appportent leurs suffrages à Louis-Napoléon Bonaparte. Ils réitérent ce vote en 1851 et 1852, lors des deux plébiscites consacrant le pouvoir personnel du futur Napoléon III et l'émergence du Second Empire. En 1851, lors du coup d'Etat, on ne rencontre dans les Landes que de minuscules îlots de résistance républicaine, notamment à Hagetmau et à Saint-Esprit, l'opposition étant surtout le fait de quelques notables, dont Pascal Duprat , représentant des Landes à l'Assemblée de 1848, puis à l'Assemblée législative, qui est incarcéré avant de quitter la France.


1.3.2. " La Révolution de Sabres "

En 1863, les gemmeurs de la commune de Sabres s'élèvent à nouveau contre leurs propriétaires. Parmi les métayers, ce soulèvement restera dans la mémoire collective sous le nom de " Révolution de Sabres " et s'érigera en référence quasi mythique. A juste titre sans doute, tant il préfigure les luttes menées au XXe siècle par le mouvement des métayers-gemmeurs. Or, s'ils ne constituent pas à proprement parler le point d'émergence d'un mouvement social organisé, les événements de Sabres peuvent se définir comme un moment charnière. Ils demeurent le point culminant des révoltes populaires de la première moitié du XIXe siècle, et ouvrent la transition vers une prise de conscience générale et l'émergence d'une organisation professionnelle des travailleurs de la forêt.

A cette époque, l'extension du système sylvicole connait une rapide accélération soutenue depuis le début des années 1860, par la progression constante du cours de la gemme qui renforce les positions des propriétaires déjà lancé dans cette production et encourage l'implantation de nouveaux investisseurs (cf. 1.2.2 Vers une nouvelle société). Or, le renforcement du nouveau système agricole et avec lui, des positions d'une nouvelle élite, conduit à la mise en place de nouveaux rapports sociaux conflictuels qui se manifeste par la transformation de soulèvements spontanés et éclatés en luttes sociales globales et organisées.


Dans le canton de Sabres, cette tension monte progressivement depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Dès 1858, les habitants de Sabres et Pissos ont exprimé leur mécontentement sur le terrain politique, en votant contre le candidat officiel lors des élections législatives et les observateurs locaux évoquent déjà une situation très tendue et un contexte insurrectionnel latent. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un cas exceptionnel. En d'autres endroits du massif forestier, les métayers sont tout aussi prêts à en découdre.


A Castets, dans le Marensin, des affiches anonymes adressées au préfet sont placardées dans le village. Elles s'en prennent aux injustices croissantes dont sont victimes les gemmeurs et menacent d'y répondre par l'incendie :

    " Monsieur le Préfet, nous sommes fatigués. Si nos prières ne portent pas fruit pour la justice et le bien-être, notre pays est menacé de tous les côtés par des accidents bien déplorables : la ruine sera après la fortune. "

A Sabres, l'étincelle est allumée par les propriétaires forestiers eux-mêmes. Ceux-ci se sont en effet entendus pour négocier de nouveaux contrats avec les métayers, afin notamment de réduire la part de récolte qui est cédée à ces derniers. Alors que, dans un contexte favorable au commerce de la gemme, les propriétaires s'enrichissent très rapidement, cette décision ne peut que provoquer la révolte des gemmeurs. Tout comme lors des mobilisations des années 1836 ou 1848, le mouvement de Sabres repose donc sur la volonté des gemmeurs d'améliorer les conditions des contrats de métayage, ou tout au moins dans un premier temps de ne pas voir celles-ci se dégrader ; toutefois, l'ampleur et les formes de la mobilisation dépassent celles des précédents soulèvements. On le voit en particulier à travers le second événement déclencheur de la révolte. Celle-ci finit d'éclater lorsqu'au début du mois d'avril 1863, le propriétaire Duboscq renvoie un de ses métayers qui a refusé de signer un contrat établi selon les nouvelles conditions des propriétaires. La mobilisation des gemmeurs apparaît dès lors comme l'expression de leur profonde solidarité et donc de la progression d'un sentiment communautaire, d'un sentiment d'appartenance à un même groupe social. Les métayers organisent une manifestation à la Mairie et auprès des propriétaires des ateliers de distillation pour défendre le partage à moitié. Rapidement, l'atmosphère bon enfant de la manifestation se tend. On rapporte qu'un propriétaire, resté dans l'histoire orale sous le surnom de " Moussu du Capet ", aurait insulté les gemmeurs, avant d'être quelque peu molesté par la foule des manifestants, arraché à son domicile et humilié publiquement. S'en suivent deux jours de manifestation violente et d'affrontements entre les gendarmes à cheval et une foule de 300 à 400 gemmeurs, soutenue par la population locale. Le maire et le juge de paix tentent vainement de calmer les esprits, ce que seul le curé du village finit par obtenir. Les affrontements débouchent sur cinq arrestations, puis sur une douzaine de condamnations au tribunal de Mont-de-Marsan, le 18 mai 1863 (de cinq jours à six mois de prison). Mais le calme est surtout garanti par le recul des propriétaires, qui reviennent au partage à moitié.


Pour achever l'analyse de cette " Révolution de Sabres ", nous nous contenterons de faire nôtres les conclusions de Francis Dupuy, dans sa thèse sur le gemmage dans les Landes sur cette série d'événements :

    " Ces flambées de colère, spontanées et encore inorganisées, constituent l'amorce d'une expression collective de revendications sociales, le début d'une prise de conscience chez les métayers du fait qu'il leur faut tenter de régler en commun des problèmes relatifs à une condition qui leur est commune ; elles constituent enfin de leur part autant de premières tentatives pour rompre le lien de dépendance qui les attachait aux propriétaires ".

      Francis Dupuy, Le pin de la discorde. Les rapports de métayage dans la Grande Lande, Editions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 1996

 
 

 



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